samedi 27 février 2016

[Dubliner #6] Behind every exquisite thing that existed, there was something tragic.



[A dreaded sunny day /
So I meet you at the cemetery gates /
Keats and Yeats are on your side /
While Wilde is on mine]

 Le dimanche, c'était mon dernier jour à Dublin. Je reprenais l'avion le lendemain. 
Alors, j'ai voulu finir en beauté, et comme rien n'est plus beau, à mes yeux, qu'un vieux cimetière non-confessionnel, je me suis dirigée vers Glasnevin Cemetery aussi connu sous le nom de "Prospect" (youplaboum). (Non, je n'ai pas écrit ça.)(Vous mentez.)

La veille, je m'étais rendu compte qu'il n'était qu'à 2km au nord de mon hôtel, et que je pouvais pas trop passer à côté de ça, même si le temps ne s'améliorait pas et qu'il allait falloir m'y rendre en mode YOLO car c'était au-delà de ma carte Lonely Planet.


Je suis sortie avec mon parapluie, parce qu'on me la fait pas deux fois, et puis, après 3 mètres et 4 rafales en mode réacteur d'Airbus, j'ai abandonné mes velléités de sécheresse.
J'ai accepté ce baptême dublinois et pris ça pour une acceptation totale de la part des éléments irlandais. 
On se console comme on peut.


Je suis arrivée là-bas sous des torrents, et l'ambiance n'aurait pas pu être plus propice.
Les grands arbres pliaient et criaient tandis que je me frayais un chemin parmi les croix gaéliques. 






J'ai fini par trouver un plan, et là, torpeur, coeur qui bat à 100 000, je repère un nom. Un nom qui ne vous dira rien, mais qui pour moi veut dire beaucoup. Un nom qui a accompagné la partie sympa de mon enfance. 
Reverend Francis Browne.

Alors là, vous vous dites sûrement "Johnson, on sait que t'aimes les vieux gens morts, mais de là à surkiffer un jésuite ? Really ?".

Mais Browne, c'était un des premiers photographes amateurs, et il se trouve qu'il a été au bon endroit au bon moment.

[See what I mean, bitches?]

Il a eu la double chance ultime de recevoir un billet première classe pour le voyage inaugural du Titanic et de descendre à Cobh/Queenstown dans le comté de Cork, dernière escale avant ce qu'on sait. 

Ses photos sont devenues mondialement connues, faisant la une de la plupart des journaux la semaine suivant le 14 avril 1912. Et le voilà, six pieds sous terres à sept pas de moi.


J'avais déjà eu l'immense honneur de tomber sur Archibald Gracie à Woodlawn dans le Bronx (symbolique, bouclage de boucle, toussa toussa), mais là, c'était over ze top.
J'ai été élevée par mon grand-père grâce aux photos prises par cet homme. Seulement entre le vent, la pluie, le fait qu'il soit un jésuite dans un cimetière laïque, j'étais pas sûre de pouvoir localiser exactement la tombe, alors j'ai eu la merveilleuse idée d'aller chercher un guide. Et grâce à elle, j'ai pu avoir un peu de répit dans cette tempête en pénétrant dans le mausolée de Daniel O'Connell - qui est considéré comme le dernier roi officieux d'Irlande. 







Tellement célébré qu'on nous a encouragé à toucher son cercueil à travers la pierre tombale sculptée. J'ai dit "non merci madame" et j'ai eu un sourire très très crispé, et ça s'est pas arrangé quand on nous a ouvert la porte sur les cercueils de toute sa descendance posés là comme ça à la one-again, parce que taillés dans du bois trop lourd pour être posés sur des étagères.


Et la petite blagounette : "on ne sait pas exactement qui il y a dedans parce que pour ça il faudrait ouvrir les cercueils et il y a sûrement toujours les germes de choléra à l'intérieur." 

Hihihihi. Joie, cimetière et épidémie pestilentielle.

Bon, c'était un super tour, et heureusement que je l'ai fait, parce que le cimetière comporte 1,5 millions de gens, soit plus que le nombre d'habitants actuels de Dublin et son agglo. Je vous le conseille fort fort. 

Pour mes 90's biatches : il y a aussi Stephen Gately de Boyzone, mais je l'ai pas vu.


J'ai attendu d'être à nouveau seule pour aller rendre mes hommages au Révérend, après avoir acheté son album de photos de Dublin à la boutique, et je l'ai trouvé sans une tombe commune, entourée par des railings en fer.


J'ai rejoint l'hôtel en prenant le chemin des écoliers le moins venteux possible et en soupirant. Mon cerveau déjà bien enclin à se poser des questions de révolte et de système et de passivité était désormais en mode "La vie, la mort, toussa".
Je me suis changée, parce que c'était la seule solution pour arrêter de trembler, et il me restait une heure pour faire au pas de course ce qu'il restait sur ma to-do list.

C'est comme ça que j'ai débarqué à la National Library, l'équivalent de notre BNF, mais dans des locaux autrement plus classieux. Les vitraux sont à la gloire d'auteurs illustres et pas que Irlandais, ce qui est tout à l'honneur des gens qui ont pensé ces lieux.




J'étais un peu dég quand même parce que la gigantesque salle de lecture était fermée, et qu'il n'y avait qu'une expo d'accessible.

L'expo sur Yeats. [insérer ici musique dramatique et subite]




Yeats est le Victor Hugo local. LA figure littéraire adulée par les irlandais, leur poète ultime, et ils ont sorti les gros moyens pour le célébrer.

Mais Yeats, j'allais le découvrir, était aussi un énorme loser

Fou amoureux de Maud Gonne (indépendantiste / féministe / comédienne / badass), il lui a proposé le mariage six fois. Six putain de fois. Elle a dit non, six fois.

Du coup, il a fait ce que n'importe quelle personne saine d'esprit aurait fait...

En fait non, du coup il a demandé en mariage la fille de Maud, Yseult. 

Et elle a dit non. 

Bref, Yeats était un loser, Yeats était pas adapté au monde des Hommes, et Yeats était un brin écorché vif. 
Mais Yeats était un génie, et mieux que ça encore, un génie reconnu.

Et c'est là que la deuxième crise existentielle de ma vie m'a frappé en plein dans la face.

Je me suis écroulée sur un banc, devant une vidéo à laquelle j'ai rien pigé, et tout ce dont je me souviens, c'est le gardien qui est venu très gentiment me virer parce qu'ils allaient fermer.

Les pensées obsessionnelles qui se sont formées dans ma tête alors ne m'ont plus abandonnées depuis.

Etre un génie est la consolation ultime des gens inadaptés comme Wilde, comme Yeats et comme moi. Des amoureux suprêmes qui donnent toute leur âme quand ils rencontrent l'exception. Sauf que moi, si je suis inadaptée, et que je traverse la vie comme un très long chemin de croix où rien ne va vraiment en s'arrangeant, je n'ai pas de génie pour me consoler. 
Pas d'Art dans lequel m'exprimer. Rien à laisser à la postérité. Rien qui ne vale quoi que ce soit.

Jusqu'ici, le drame de mon existence était de n'être la personne de personne. De crever de manque d'amour sous quelque forme que ce soit. Et à peine ai-je réglé une partie du problème en acceptant le fait que j'étais ma propre personne et un loup solitaire et qu'il faudrait m'en contenter, que la face cachée de l'iceberg se brise sur ma tête en autant de millions de gouttes que déversent le ciel irlandais.

Mon ego et moi, on a traîné nos guêtres à Stephen's Green, parce qu'il fallait bien faire quelque chose. Puis on s'est fait virer de là aussi à la nuit tombée.

[Robert Emmett, évoqué dans la note précédente]

Du coup, les mains dans mes mitaines dans mes poches, je suis passée en mode automatique et mes pieds ont suivi le chemin de Westland Row. 
Au numéro 21, j'ai reniflé, à cause de l'humidité on va dire.
Au numéro 21, j'ai souri aussi.

[Wit]

Je me suis demandé si j'aurais pas mieux fait de consacrer ma vie à célébrer Oscar, qui est si mal aimé, au final, contrairement aux apparences. Est-ce que ça aurait été plus utile ? Est-ce ça ma cause ?

Mon... utilité ?

Je suis allée manger dans un chouette resto, mais le coeur n'y était pas, je suis allée à un concert et je suis tombée sur un connard. D'habitude, je suis connard-proof, mais là, les larmes ont coulé non-stop. Le lendemain a été une longue gueule de bois sans cuite la veille.

A l'aéroport, j'ai embarqué deux merveilleuses éditions de Wilde et une de Yeats, parce qu'entre losers on se soutient.


Dans l'avion, j'ai pas eu peur dans les trous d'air, parce que je riais de bon cœur en lisant les commentaires bitchy d'Oscar sur le sud des USA, et que ça m'a rappelé quand moi je rentre en Normandie.


Je suis rentrée à Paris enfin, et le gros poilu s'est jeté à mes pieds comme si j'étais Krishna, jouant très bien le chat qui n'a pas mangé depuis 4 jours.
Puis je me suis réembrumé à nouveau le cerveau à coup de concerts et d'alcool et de garçons et c'était bien. Apaisant. Distrayant.

Et sans trop saisir le fil de ma timeline distordue, je me suis retrouvée devant Jamie Lee, au bord d'un canal sans eau.

Il avait un peu changé, mais pas sa voix. Beaucoup plus sage, mais beaucoup plus drôle aussi.
J'ai souri beaucoup trop. J'ai jubilé, en fait. Parce que les génies vivants, c'est quand même autre chose que les génies morts. Et pouvoir assister à ça, c'est une raison de vivre comme une autre.
C'est la mienne, en tout cas.

Jamie, il aime bien rendre hommage à un autre génie inadapté et complètement flingué. Il aime tellement Genet qu'il le célèbre à sa manière, avec une crise de syndrome de Tourette particulièrement jouissive.

Il se trouve que le fantôme de Genet rode pas loin de mon appartement, perpendiculairement, à quelques pas, en fait.

Jeudi soir, la boucle s'est, une fois de plus, bouclée.

 
Bleary eyed and wasted
I wake up to an unlikely dawn
Of beautiful people
All around me
I am at your gateway now


The people are talking
Like they're winning
Like the world's not spinning
Like they're in control
Like they're Marylin Monroe
At a cocktail party
I'm someone outrageous
Like Jean Genet


And I've wasted all my time
On cocaine at Christmas
And bottles of wine
And I'm as happy as a child
Because you don't have to ask me why

vendredi 26 février 2016

[Dubliner #5] In this world there are only two tragedies. One is not getting what one wants, and the other is getting it


[Rideau orange mécanique]

Samedi, samedi... c'était la journée de la lose. J'ai laissé mon (très lourd) parapluie et l'hôtel et je suis partie me prendre des torrents sur la gueule toute la journée.
J'ai accepté mon destin en me rappelant qu'à Paris, je suis la meuf en t-shirt de février à novembre et qui ne sort son parapluie que pour se protéger du soleil.

Première étape à la brasserie Jameson, où je ne suis pas entrée parce que 1) j'avais déjà pas mal entamé le budget 2) j'aime pas trop trop le whiskey, la dernière fois que j'ai essayé c'est ressorti aussitôt sur les murs des Furieux (coucou les gars de la sécu !).



Ensuite j'ai essayé de pénétrer dans St Michan's, la paroisse moche surtout connue pour sa crypte qui conserve parfaitement des cadavres millénaires. Ouais. Dit comme ça, c'est pas hyper sexy, et quand j'ai vu que c'était sur visite guidée uniquement, que cette visite guidée était menée par un PRÊTRE et qu'elle était payante et qu'il fallait attendre 2h la prochaine, j'ai décidé d'embrayer et d'aller me sécher dans l'ancien fort militaire qui sert de musée des arts d'éco et offre une jolie rétrospective sur l'histoire de l'armée irlandaise quelque qu'elle soit (des soldats privés ayant remporté la bataille de Fontenoy à ceux ayant soutenu Bolivar).



Par contre, les bâtiments de l'armée c'est absolument pas fait pour les musées hein. L'agencement est très très merdique et j'ai presque plus marché dans ce dédale que dans les rues.

Je suis ressortie la mine basse, un peu abasourdie par tout ce fatras limite anxiogène et j'ai cherché un endroit où terminer de me sécher. En errant comme une âme en peine, j'ai fini par atterrir au Brazen Head, le plus vieux pub d'Irlande, l'attraction touristique houblonnée #1 du centre-ville. Il y avait un feu de cheminée, un chilli végétarien et de la Dublin porter, et c'était formidable.


[Chaleur !]


Je n'étais toujours pas sèche mais comme je ne pouvais décemment pas rentrer me coucher à 14h30, j'ai continué.

Le but, à la base, c'était de visiter Phoenix Park (où il y a des daims) et pourquoi pas le cimetière d'Arbour Hill, où les martyrs de l'indépendance sont plus ou moins tous réunis, mais vu que la mer d'Irlande continuait de se déverser sur moi par rafales, j'ai opté pour le musée d'Art Moderne.

Bien bien décevant puisque aucune des collections permanentes n'étaient accessibles, et l'expo Grace Weir, seule visitable, était bien trop pointue pour la mi-noyée que j'étais à ce moment.

Seul point extrêmement positif du musée : l'immense lièvre de Barry Flanagan (AKA mon sculpteur préféré du monde entier de la Terre). J'en avais plus vu depuis New York et, symboliquement, ça a son importance.


Dublin est le premier voyage que j'entreprends seule depuis ces très longues semaines new yorkaise où j'ai trainé mon âme en peine de Harlem à Brooklyn en tentant de ne pas me jeter dans l'Hudson. Pour vous le 8 mai 2012 à 20h c'est la victoire de François Hollande, pour moi, c'est le moment où j'ai reçu un mail de rupture de mon premier vrai copain. Et je partais 2 jours après pour NY.

Vous comprenez bien que, depuis, j'ai un peu hésité à repartir seule, ça doit être mon côté superstitieux. Tout le but de ce mini-séjour était en fait de me prouver que je pouvais le faire et que j'avais pas besoin qu'on me tienne la main (vu que de toute façon, personne n'est intéressé par le job).

Alors me retrouver devant un Flanagan à Dublin, ça a bouclé quelque chose. En mode "je suis pas là par hasard".




J'étais toujours une zone inondable sur patte quand j'ai traversé les jardins gigantesques reliant le musée à Kilmainham (quartier sud ouest de la ville, surtout résidentiel et hospitalier). Le but était de rejoindre la prison mythique dite Kilmainham Gaol (sans les accents parce que yolo), et j'étais large niveau timing, vu mon expérience raccourcie dans les musées successifs : sauf que non en fait. C'est encore plus couru que la Guinness Storehouse cette affaire, et j'étais l'avant-dernière à être acceptée dans la file d'attente à 15h et ils m'ont inscrite pour... la visite de 16h30.

J'ai totalement kiffé ces 1h30 dans le froid, contre la pierre glaciale de la geôle, à sautiller sur place en suivant les ordres militaires du personnel. Surtout qu'il y avait deux américaines derrière moi qui hésitaient sur le prochain pays européen à visiter parce qu'il y a 'vraiment trop de socialistes partout'.

Mais j'avoue : ça valait complètement la chandelle. On ne peut imaginer un tel endroit avant d'y avoir mis les pieds.














Avertissement quand même à mes amis un peu trop empathes : ça peut piquer fort quand on vous annonce, après vous avoir fait entrer dans une immense pièce blanche au haut plafond, que c'est là que Robert Emmett a passé les derniers moments de sa vie avant de se faire exécuter de manière tout à fait indigne.
Rien n'est épargné de l'histoire lugubre mais pleine de vaillance et de bravoure contenue entre ces murs, et ça m'a vraiment fait gamberger sur l'état actuelle de notre révolte à nous, français.

Je dis ça parce qu'à chaque fois que je disais d'où je venais, on me souriait en prononçant deux mots "French Revolution". Parce que c'est ce qui a inspiré les irlandais. Mais que reste-t-il de cet esprit là, de nos jours, à Paris ?

Il a été remplacé en majorité par une acceptation molle et àquoibonnesque. Je n'ai moi-même pas les réponses, et je suis la première à être insupportée par la dispersion dont font preuve mes seuls amis engagés. Quand ils n'arrivent pas à se mettre d'accord entre eux, à voir la big picture, et se noient dans des petites batailles qui paraissent risibles et résonnent donc très faiblement. Sans faire d'émules.
J'avais une seule certitude, en revenant à Paris, c'est que la réponse à nos maux était tout sauf politique. Et que si le gouvernement est dépassé, ce n'est peut-être pas une question de gens, ou de partis, mais de système à revoir à zéro.

J'ai bien conscience qu'on ne peut plus trop monter des barricades contre Daesh, les vilains grands patrons et les produits chimiques, mais l'idéologie de la révolte est quelque chose de sensément gravé dans notre adn. En ces temps de déchéance nationale où je me demande si moi-même je suis bien française, je crois que je tiens une partie de la réponse : être français, pour moi, c'est toujours tout remettre en question et ne rien laisser passer. Ne pas adopter de posture de soumission, surtout quand l'oppresseur vient de l'intérieur. Surtout quand tout nous pousse à devenir notre propre oppresseur.

Je suis sortie de Kilmainham avec une cohorte de nouveaux fantômes. De ceux qui font réfléchir dans le bon sens. C'était aussi le premier signe que ces vacances faisaient leur effet. Mon cerveau s'ouvrait à nouveau et se remettait à fonctionner, lui que j'avais remisé loin loin, parce que cette période est spécifiquement incompréhensible.

Mais attendez un peu de voir l'effet kiss cool de ce voyage sur mon mental car /spoiler alert / dans la prochaine note vous aurez droit aux prémices de ma deuxième crise existentielle.

Ca c'est du teasing.