jeudi 29 décembre 2011

Silver screen

Cette année, je n'ai vu que de bien belles merdes. Hormis le top 5, peu de films de 2011 sont vraiment mémorables et resteront. 
Restless est le film qui m'a le plus touchée, un #1 purement subjectif. Tout comme Le Havre, que j'ai plus aimé comme hommage à une ville qui m'a beaucoup apporté (haïe par les gens qui ne savent pas) plutôt que comme objet cinématographique. Fright night m'a clairement fait le plus rire. Killing Bono mérite le détour même s'il est boursoufflé de défauts un peu gênants. Shame m'a mis très mal à l'aise. J'ai failli défaillir devant Melancholia. La SF a été décevante. Les superhéros omniprésents. Thor et Captain America ont eu beaucoup d'influence, à tel point que je compte les nuits jusqu'à The Avengers. Mention homo-érotisme et antiquité pour L'Aigle de la 9ème légion, deux ingrédients qui fonctionnent à chaque fois avec moi (sauf si c'est réalisé par Oliver Stone).

  1.  Restless
  2. Polisse 
  3. Le Havre
  4. This must be the place
  5. Melancholia
  6. Shame
  7. Fright night
  8. 50/50
  9. Killing Bono
  10. Black Swan 
  11. Drive
  12. Thor
  13. Harry Potter et les Reliques de la mort II
  14. Intouchables
  15. L’aigle de la 9eme légion
  16. Minuit à Paris
  17. Même la pluie
  18. The green hornet
  19. Twilight 4
  20. Time out
  21. X-men : le commencement
  22. Mission impossible : ghost protocol
  23. Captain America
  24. Tron legacy
  25. Les marches du pouvoir
  26. Un monstre à Paris
  27. Mon pire cauchemar
  28. Largo winch II
  29. Sucker Punch
  30. I am number 4 
 


    vendredi 23 décembre 2011

    That time of year

    What the fuck did you do this year, Johnson ?

    Elle a commencé avec des lunettes. Et mon diplôme de M2. 
    Dans les épisodes précédents de fin 2010, j'étais au chômage depuis deux mois (enfin : un novembre Fall in Live et un décembre de noël). Et puis 2011 est venu et le travail non plus. 

    Il a fallu attendre mars pour décrocher un job, ce qui m'a laissé tout le loisir de sacrifier les 15 premiers jours de janvier à ma couette normande, entre maladie terrassante et deuil du chat impossible à faire.

    En février, j'ai commencé à déprimer parce que j'étais au chômage, mais j'ai été très occupée quand même : j'ai tout archivé mon chez moi, et y avait du boulot. J'ai tout archivé (ou presque) mes vieux blogs, et pareil. 
    Entre deux cartons, j'ai cherché du boulot, on m'en a pas donné, j'ai eu des "mouis peut-être" qui ont duré 3 semaines, j'ai passé toutes les épreuves jusqu'à la ligne d'arrivée où on me disait "ah non c'est vrai t'es trop jeune : tu rentres pas.".

    Gros gros moment d'introspection donc, et de LOL emploi. 
    J'ai commencé comme tout le monde, par un job tout pourri de lectrice/correctrice où on me demandait de rien corriger parce que ça faisait perdre du temps à tout le monde. Le monde kafkaïen du travail en entreprise dans la gueule, j'en prenais pour 4 mois.

    4 mois d'enfer sur Terre qui m'ont donné assez de force pour prendre mes jambes à mon cou. 4 mois où je rentrais tous les soirs en métro sans m'apercevoir que les larmes coulaient toutes seules.

    4 mois d'enfer dont j'ai essayé de parler, mais sans succès. Face à des "et nous alors ? Qu'est-ce qu'on devrait dire", aucun dialogue n'est possible.

    4 mois d'enfer qui ont commencé avec un diagnostic, presque entre deux portes. Un coup de massue qui a envoyé voler toute ma jolie introspection du début d'année. J'étais quelqu'un d'autre - ou plutôt : on me confrontait à moi.

    En avril pourtant, une cohabitation de quelques jours et un passage ensoleillé me permet de tenir jusqu'au bout. 

    En mai c'est le blog de l'hormone qui démarre sur les chapeaux de roue et qui n'en finit pas de grimper depuis (ou presque). Que de réjouissances dans ce lieu de célébration, mes amis. Si vous ne connaissez pas, je vous le conseille. C'est encore mieux qu'ici. J'y chouine moins.

    Il faudra tenir jusqu'aux Solidays, au lendemain d'une crise profonde, forte, qui m'a laissée bleuie, jaunie, meurtrie. Remonter la pente. Assumer. Puis ne plus assumer du tout. Faire marche arrière. Laisser quelques pots cassés. 

    Et se casser soi-même. A la fin du contrat. La libération. Prague. Béatitude. Joie. Bien être. Bière à 2€. 

    Avant un retour à la réalité du mois de septembre en mode "ma soeur accouche à la première heure de mon premier jour de mon nouveau job". Un bébé Zules. Ca tombe bien, j'aime bien les garçons. 

    Et, à part un nouveau changement de poste en octobre - mais dans le même couloir, ce fut le long tunnel jusqu'à décembre, qui se poursuivra jusqu'à mars de l'année prochaine. 

    Quelques highlights en novembre. Les mêmes que toujours - amis, concerts, tête qui tourne et talons qui tremblent.

    Une année qui a été bien longue. Insignifiante. Oubliable. Une année qu'il fallait vivre. Le chômage, le premier boulot, le premier vrai job, tout ça condensé en 12 mois. On peut dire que je continue à tout faire vite et plutôt bien. 

    J'ai bien envie d'exploser en vol à la fin de mon contrat. De faire quelque chose de fou que personne n'attendra. Mais ça, seul l'avenir nous le dira...


    mercredi 21 décembre 2011

    You and your heavy heart

    Envie de secouer très fort la tête de gauche à droite et de refuser tout ce que la vie compte me balancer de plus. 

    Je me suis longtemps auto-molestée par ce que je pleurais trop facilement. Je viens de comprendre, qu'en fait, à force de retenir les émotions, je suis brisée de l'intérieur. 

    Je ne réagis plus violemment quand on me déçoit. Je ne réagis plus à rien. Je me suis faussement blindée. Ce ne sont pas les agressions extérieures que j'empêche d'entrer mais les milliers d'émotions intérieures que j'empêche de sortir. 

    Je suis affolée. Tous les jours. Sur un fil. Constamment. Je ne dis rien. Je ne dis rien et quand je me demande "et de toute façon à qui le dirais-tu ?" je m'aperçois qu'il n'y a jamais grand monde, autour. 

    Je suis la solitude et le malheur incarné. Et, en écrivant ces lignes, je sais qu'elles seront interprétées comme mélodramatique. C'est juste ma réalité : je vis avec.

    Je me prends des shoot de bonheur de temps en temps, factices, temporaires, bien imités mais pas suffisants, juste pour voir comment ça fait.

    Je suis admirative des gens heureux comme je suis admirative des gens en couple comme je suis admirative des gens qui arrivent à faire ce dont je me sens incapable.

    Travailler sur un livre dont le personnage principal est autiste m'a rappelé, qu'une fois de plus, moi qui ne le suis pas, je devrais pouvoir regarder les autres dans les yeux.
    J'en suis toujours incapable. Si, maintenant, j'affronte le regard des autres, je ne le fais jamais vraiment. Ou je ne tiens pas très longtemps. Agripper mon regard à un autre est beaucoup trop intime pour moi. Vous vous imaginez aisément dans quel état je suis quand on m'empoigne à pleins bras alors que je n'ai pas d'alcool dans le sang. 

    Je crois qu'en m'éduquant on a trop fait rentrer dans ma tête que le contact physique était un passage obligé. J'en fais une réaction limite allergique. "Fais la bise aux gens" "fais un câlin" "donne la main", tant de choses qui étaient un supplice pour moi et que j'ai arrêtées dès que j'ai pu. 

    Je me retrouve coupée du monde et d'un sens. Je ne touche plus. On ne me touche plus. Au sens propre comme au figuré.

    Une seule exception à ça : ma grand-mère, qui ne m'a jamais obligée à la serrer dans mes bras, qui m'a toujours laissée venir à elle. Cette grand-mère que je perds à petit feu comme on perd son dernier lien avec l'humanité. 

    Alors oui, j'ai envie de stopper le temps, de me planquer sous ma couette et d'attendre le Déluge. 
    Si j'étais croyante, ce serait le moment idéal pour prier. 
    Mais même pas.

    Après l'année dernière, j'ai peur que ce coup du sort étouffe la dernière étincelle en moi, me transforme en reine des glaces à tout jamais. Ou du moins, pour le temps qu'il me reste.

    mardi 13 décembre 2011

    Indiscretion is worth a try

    Les garçons ont toujours réagi de manière totalement disproportionnée à l'annonce de mon prénom. 

    Il n'a rien d'inhabituel, ni d'original, ni de spécialement moche ou de particulièrement joli.

    Mais nous sommes à l'ère des internets où on connait une personne avant de savoir son prénom. 

    Le mien fait l'effet d'une bombe. 

    Je ne sais pas pourquoi, et les garçons n'ont pas assez de mémoire et d'imagination pour me dire comment ils m'auraient appelé avant de l'apprendre.

    Une ou deux fois, j'ai compris. 

    C'était le prénom que portait une autre - quelqu'une faisant partie de leurs vies. Un souvenir qu'ils auraient aimé voir à nouveau, réincarné.

    Je me souviens de cet auteur, sur l'un de mes premiers salons du livre. Peu de gens le calculaient. Il était du cru. De cette province où aucun autre n'avait voulu s'aventurer, du coup la chaise vacante, là, c'était pour lui. 

    Il était entre deux âges, plus jeune que vieux, mais moi, j'avais 17 ans, et je n'étais pas sérieuse. Je n'adressais la parole aux trentenaires que par mégarde ou parce qu'ils avaient bien pris soin de dissimuler leur âge réel - je réagissais aux âges des garçons comme ils réagissent à mon prénom. Il était châtain clair. Pas assez blond pour éveiller un intérêt que son imperméable, sa taille moyenne, ses lunettes avaient éteint de puis longtemps. 

    Il était un peu maladroit, bégayant, ému. Je sentais sous son crâne, son cerveau brûlant à force d'imaginer qui je pouvais bien être. 

    Jusqu'ici il savait une poignée de choses sur moi : j'étais très, voire trop jeune pour faire ça - tenir un stand à moi toute seule, j'étais sévère mais juste avec les flopées de gamins qui dévastaient les quelques mètres carrés laissés sous ma garde, j'avais des cheveux très longs - c'était avant l'épisode du "je vous coupe juste les pointes (sur 15 cm)" -, un sourire de Daria et une robe de princesse.

    Dès qu'il a su mon prénom, il a voulu savoir beaucoup de choses. D'autres choses.

    Il a su mon prénom parce que j'ai eu pitié et que je lui ai fait dédicacer le livre qu'on m'avait offert en SP. 
    J'ai toujours ce livre. Je me souviens que la dédicace est gênante. Car personnelle. Personnelle pour une autre. Pour cette autre qui a le même prénom que moi et qui a ravivé en lui des souvenirs auxquels je ne pouvais prétendre. Cet auteur m'a laissé une impression dérangeante - surtout quand il m'a rattrapé par le bras pour m'empêcher d'aller ranger des livres et que je discute encore avec lui - surtout quand il a oublié son parapluie exprès pour revenir une fois sa séance de dédicace terminée - surtout quand j'ai lu deux-ou-trois extraits de son bouquin avant de le ranger à tout jamais dans l'Enfer de ma bibliothèque.

    Une dédicace se doit d'être impersonnelle. Comme celle de ce Goncourt dans une librairie du Havre : à la chaîne. Comme celles sur mes étagères. Celles de C., de X., de T., de W. ...toutes des gribouillis qui ne veulent rien dire, car c'était le moment qui importait. Je pourrais les décrire à la perfection, toujours aujourd'hui, mais j'ai besoin de ce bout de papier comme déclencheur du souvenir. Aucun d'entre eux ne m'a demandé mon prénom, et c'est bien mieux comme ça. 

    Ce matin, je passais une commande à un de mes groupes préférés, un groupe capable de faire ça.
    (Oui, moi j'aime des groupes assez cool pour leur passer commande directement.)

     ...et je m'aperçois de ce texte, dans la catégorie "about us" :

    "2. We will be happy – flattered! – to sign one item per order for you. Just let us know during checkout what you want us to sign, and if you want any kind of special message. If you say you want us to sign something, but you don't tell us to address it to you, we will just sign our names. VERY IMPERSONAL. But maybe that's what you want."

    En gros, ils seraient heureux - flattés !- de signer un élément de ma commande (ils sont THAT cool) et précisent que si MOI je précise rien ils signeront juste de leurs noms et que c'est vraiment impersonnel mais qu'après tout c'est ptet ce que je veux (THAT cool). 

    Me voilà donc à me creuser devant mon écran, turlupinée par cette mise en situation du groupe qui a ton nom (puisque tu as passé commande) et qui te demande de trouver un truc pas impersonnel alors que toi, t'es persuadée qu'il faut que ça soit impersonnel mais qu'en même temps laisser passer ça serait limite un insulte. 

    Du coup, je crois que je vais me retrouver avec un t-shirt de chat avec la pire citation imaginaire d'Oscar Wilde du monde. Rendez-vous avant le solstice d'été, quand j'aurai reçu ma commande pour découvrir ensemble s'ils sont assez THAT cool pour que je renie mes idéaux.

    vendredi 9 décembre 2011

    Love you more than those bitches before

    Une phrase vous reste en travers de la gorge et tout est déprimé.
    Ca pourrait être le thème de ma semaine.

    Je me suis surprise à sourire en entendant ma boss me hurler dessus, pas par insolence, mais par pure auto-satisfaction. Voilà au moins un truc que j'ai réussi à lui faire faire à peu près correctement.

    Je suis très forte pour deux choses dans mes relations aux autres : leur mettre la pression et m'auto-saboter. 

    J'utilise souvent l'un pour obtenir l'autre et vice versa. 

    J'irai presque jusqu'à dire que je ne fais que ça...

    En rejoignant une amie, je me suis perdue à penser que Paris ne me faisait plus rien. Et puis nous sommes entrées dans le carrousel du Louvre en pleine nuit et avons sautillé en rythme tout près de ses fondations à deux mètres des Ting Tings, et tout allait mieux.

    La musique me sauve vraiment la vie tous les jours. Comme l'oxygène les petits vieux : il me faut ma dose d'écouteurs sur les oreilles pour réussir à vivre un peu plus.

    Cette semaine j'ai compris que je me dissimulais de mieux en mieux. Mon vrai moi. Le truc noir et gluant qui passe son temps à stresser pour tout, n'importe quoi, et le reste aussi.

    Je lui ai parlé d'essayer de fumer de l'herbe pour pas devenir complétement alcoolique ou accro aux somnifères. Pour me détendre. Juste essayer. On a un peu débattu et j'ai fini par dire "tu te rends pas compte (de l'état dans lequel je suis)" et elle a répondu "non je ne me rends pas compte". 

    Et là j'ai compris : pour la première fois dans ma vie, je suis entourée par des gens qui ne me regardent pas avec un air grave quand je parle de la mort. Pour la première fois de ma vie je suis entourée par des gens qui croient que j'exagère et que je plaisante.

    C'est plutôt grisant. Ils pensent tous que je suis plus forte que faible quand le quota est plutôt au vent contraire. 

    Mais, dans le fond, les vrais savent, I'm still a little bit tower of Pisa

    Dans le fond, j'attends toujours sans trop y croire le moment où, enfin, les lumières vont s'éteindre.

    jeudi 1 décembre 2011

    Total eclipse of the heart

    Well come on, we can't go on
    Well come on, we can't go on
    Well come on, you can't go home
    The night is young
    I'm blacking out
    But it's been
    Fun
    This scene is dead / We are scientists
    L'incompétence des autres me fait me rendre compte à quel point je suis compétente. 

    Les néons de mon bureau m'arrachent les yeux. Mes écouteurs vissés H8 m'arrachent du monde. Et la grisaille, par la fenêtre m'arrache le reste.

    Je suis un zombie qui ne s'aperçoit que bien tard qu'on lui a arraché un bras et demi et une oreille. 

    Ce que j'aime ? Ce dont j'ai envie ? 

    Lire des romans young adult, passer ma vie dans des concerts, dormir profondément, trouver des infos difficiles à  trouver, sourire béatement quand un maquettiste produit une couverture brillante à partir des 3 mots et demi de mon brief. Regarder n'importe quoi avec Tom Hiddleston dedans. Ecouter n'importe quoi avec Keith Murray dedans. Ressentir des papillons pour de parfaits étrangers. Le rosé. Le champagne & all that stuff. 

    J'aime aussi quand elle m'a dit qu'elle passerait plein de soirées avec moi quand je lui ai confié que j'étais terrifiée à l'idée de me retrouver à nouveau seule. 

    J'aime les chats. J'en veux un. Petit. Minuscule. Pour qu'il reste le plus longtemps possible. 

    I got a great idea, I'm gonna wait right here

    J'aime les longs mails. Les recevoir. Y répondre. Dans ce sens. Pas dans l'autre.

    J'aime les gens qui ont la patience, de me supporter, de m'attendre, d'attendre que je réponse à leurs longs mails. 

    J'aime les tiramisu, parce qu'il y a du chocolat, de l'alcool, et de l'Italie dedans. 

    J'aime qu'un seul album me permette d'aller un peu mieux. Immédiatement.

    J'aime me dire que je ne suis plus amoureuse de personne, et que, dans le fond, je ne l'ai été ni du Watchmen, ni de cet autre avec qui je flirtouille bien gentiment depuis deux ans. Quand ils deviennent trop humain, de toute façon, les garçons ne valent plus le coup. Am I wrong ?
    J'aime ses grands yeux noirs. Ses grands cheveux noirs. Ses grandes jambes noires. J'aime quand il se met debout, les bras en croix. J'aime quand il sourit. J'aime sa silhouette dans le noir. J'aime son gros nez en gros plan. J'aime ses oreilles même si on les voit pas - à cause des grands cheveux noirs. J'aime son nombril. La pâleur de sa peau. Le fait qu'il n'ait pas de tatouage. J'aime la couleur de ses lèvres. J'aime la pousse erratique de ses poils de menton. 

    Pourtant non. Je ne l'aime pas. 

    Lui et quelques autres obsessions me donnent une raisonnette de vivre. Mon entourage me maintient la tête hors de l'eau.

    J'aime quand mon lecteur MP3 balance Total eclipse of the heart alors que je cherche mes clefs, puis la serrure, pendant 3h30, complétement saoule, en rentrant de soirée.

    J'aime n'avoir rien à foutre du regard des autres.

    J'aime attendre la neige.



    I gotta great idea
    I'm gonna wait right here
    I gotta great idea
    I'm gonna wait right here
    While everything is adding
    Up, up, up
    Everything is adding
    Up, up, up

    They're breaking both my hands
    They're breaking both my hands
    And telling me to
    Take it like a man
    And take it like a man
    Well fuck that
    I don't understand
    Said I don't understand
    So please repeat whatever you just said
    'cause nothing's making sense
    Well how'm I doing?

    The great escape / We are scientists





    samedi 26 novembre 2011

    Instant Karma


    Il y a de ces journées que tu attends depuis tant de temps que tant pis, tu ne te souviens plus quand.
    Ce qui compte c'est l'avant. Aller de. Et l'attente aussi, un peu.

    Alors ce matin, j'ai pris mon petit déj' en lisant les crédits de l'album, en souriant, et je me suis barrée au bureau le disque sous le bras. C'est d'ailleurs la première chose que j'ai faite : l'enfourner dans mon ordi et l'écouter. En boucle.

    Ce soir j'allais voir pour la troisième fois les Shaka Ponk en concert, mais ce soir ça allait être le concert de leur vie. Sans exagération.

    J'aime être là dans ces moments là, et surtout, j'allais être accompagnée de deux des personnes que je préfère au monde en ce moment. Des gens qui partagent le même amour que moi. La même passion. Pas des rabats-joie. Pas des blasés. Juste des gens qui aiment, qui assument et qui assistent.

    Alors oui, ce matin j'étais guillerette. Gonflée à bloc. Et puis est arrivée la pause déjeuner.

    Je suis descendue m'acheter un sandwich pour le soir, pour faire le plein de mangé avant de suer comme un veau au Zénith.

    Alors que ça allait être mon tour de commander, un grand monsieur noir et baraqué est sorti des cuisines de chez Paul, au bout de ses bras, deux petits morceaux de viande de 7 et 8 ans. Des gamins sales, qui tenaient, pour l'un, un papier chiffonné et pour l'autre, un billet froissé, dans les mains. Ils se regardaient, pleins de terreur, comme pris dans les phares d'une voiture. L'autre les tenait par la peau du cou.

    La dame me demande ce que je veux, je dis "to-to-tomate mozzarella".

    Le type les jette en plein milieu de l'allée du centre commercial.

    "Pain aux olives ou pain brioché ?"

    "Aux... o... olives."

    Il les tabasse à coups de poings, de gifles...

    "Pardon j'ai pas entendu."

    Puis il les jette au loin à nouveau et finit par défoncer le coccyx de l'un à coup de pied. 

    "Ca fera 4 €"

    Je récupère ma monnaie en trébuchant, moi aussi, la bouche ouverte comme un merlu, transie de froid tout à coup. 

    J'entends vaguement les plaintes de la clientèle féminine derrière moi, et le malabar qui se défend.

    Je vais me sentir mal. 

    Je revois les images du passage à tabac des gosses et la seule chose qui me vient, la seule pensée cohérente est : "Tiens, il a la même manière de frapper que mon père."

    J'enfourne le sandwich dans mon sac, j'erre dans les étages. Je sais où je veux aller mais plus vraiment comment y aller. Je finis par y être. J'achète une toupie à mon neveu. Je demande un papier cadeau. Je laisse des pièces dans la boîte. J'emporte le sac.

    Je repasse à l'endroit de l'empoignade. Je tremble un peu.

    Je me dis "pense à ce soir". 

    Ce soir tu seras bien. Ce soir tu seras avec les gens que tu aimes. Les gens que tu admires. Et le garçon que tu idolâtres. 

    Je n'ai pas réussi à penser à ça. A tout ça. Avant d'y être vraiment. Les deux pieds sur ma rangée, au Zénith. Devant un des shows les plus élaborés - et réussi, qu'il m'ait été donné de voir. Emouvant, drôle, parfait. Merveilleux, en somme. 

    Devant ma statue grecque vivante que je n'ai pas réussi à lâcher des yeux avant longtemps, je me disais que j'étais au paradis.

    De la musique. Des amis. Du désir pour le plus beau garçon de l'assemblée - du monde ?

    Je ne pensais plus aux petits garçons. 

    Et puis Bertrand Cantat est arrivé.

    Je ne sais plus qui, autour de moi, a dit "il est venu..." avec un air plein de nostalgie, de reconnaissance et d'émerveillement. Comme si le père longtemps absent avait décidé de revenir passer les fêtes en famille.

    Qu'est-ce qu'on fait dans ces moments là ? On lui demande pas pourquoi il s'est cassé. On lui reproche pas ses conneries. 

    On profite. On lève les bras. Et on prend ce qu'il a à donner. 

    Alors, j'ai séparé l'homme de l'artiste, j'ai été époumonée. 
    Je me suis pris un Instant Karma dans la gueule.

    You better get yourself together
    Pretty soon you're gonna be dead
    What in the world you thinking of
    Laughing in the face of love
    What on earth you tryin' to do
    It's up to you, yeah you

    Shaka Ponk est un groupe adepte du Do it yourself. Ce que je suis à 100% aussi - j'en suis arrivée là grâce et malgré moi. Je pense que je n'aimerais pas autant ce groupe si je n'adhérais pas à cette philosophie commune.

    Ils ont réussi à créer une telle locomotive de "bon" de "bien" et de "fucking great" qu'ils arrivent à traîner derrière eux des épaves et à les retaper en deux chansons. A me faire revoir la vie en spectre coloré quand tout espoir avait abandonné ma carcasse l'après-midi même.

    Alors merci eux, merci vous, merci toi. Time really does fly with you.

    mercredi 23 novembre 2011

    We can make you understand

    ...To the great and the petrified
    We all fall down
    To the slaves and the civilized
    We all fall down...


    Si les gens se rendent compte de nos moments de faiblesse (les pleurs, la dépression, les idées noires sont difficiles à dissimuler), ils ne réalisent pas toujours à quel point on peut être forts parfois.
    Parce qu'être la personne qui va de l'avant et essaye de traîner tout le monde derrière elle a trop souvent été mon rôle, et trop souvent assimilé à celui de la méchante.
    Parce que prendre des décisions c'est so not hype.

    Je suis issue d'une génération où on laisse traîner les choses en se disant qu'elles finiront bien par se régler toutes seules, et peu importe qui on laisse sur le carreau en chemin. 

    Cette lâcheté ambiante m'a toujours agacé, moi qui suis plutôt radicale. Trop honnête. Trop directe.

    Samedi soir, j'ai rencontré un garçon - qui n'était pas un garçon très fiable, ou très bien, mais qui était beau. 
    Alors non, ce n'est pas une alloveragain redite de mes années noires, non. Ce garçon est aussi rapidement entré dans ma vie qu'il en est sorti, and that's a spoiler. 

    Quand j'ai demandé à ce garçon pourquoi il était dans cette boîte, il m'a répondu "pour le sexe", quand il m'a demandé pourquoi moi j'étais là, je lui ai dit "pour que mes deux potes se choppent", quand il est allé les voir pour leur dire de se dépêcher un peu et que je lui ai dit "mais pourquoi t'as fait ça" il a répondu "à cause de l'alcool.". Quand je lui ai dit que ma copine ne finirait pas avec son copain, il s'est juste barré. Sans se retourner.

    J'ai eu avec ce garçon la relation la plus honnête que j'aie jamais eu. Ca peut paraître triste. Johnson sur le bas côté des relations humaines une fois de plus, et bla et bla... mais ça m'a bizarrement réconforté de savoir que ça existait. Toujours.

    Un garçon beau, intelligent, drôle, qui dit la vérité. 
    In vino veritas, certes. Mais jusqu'ici j'avais connu des losers collant qui s'inventaient des vies en sonnant faux, des casanova des bacs à sable, des loups déguisés en agneaux. Là, j'ai juste rencontré un type qui est allé droit au but, et mon dieu que ça m'a fait du bien dans ce monde d'atermoiements constants.

    Car ma vie c'est négocier toujours sur des détails, désamorcer les idées à la con de mes boss, rentrer dans la psychologie torturée de ma correctrice pour lui soutirer mes 4eme de couvertures alors qu'elle pèse le pour et le contre pour chaque mot, tenter de concilier des mondes inconciliables. Tout cela est très fatigant. 

    Donc oui, quand je vois une larve qui a toutes les capacités pour être un papillon j'ai envie de lui dire "mais à quoi tu sers dans cet état là", je suis un peu trop nazie à mon goût dans ma vie perso en ce moment, parce que je suis trop consensuelle au bureau. Je ne supporte plus les gens qui regardent passer leur vie comme des vaches dans un champ. Et, là, la plupart penseraient très fort à "mais alors pourquoi tu fais rien de ta vie sentimentale" et je répliquerai que justement, le premier venu serait le compromis, le renoncement, le "ok, life, t'as gagné, je vais me ranger avec bobonne et lui faire deux enfants et un golden retriever". 

    Je ne veux pas de quelque chose qui ne compte pas.

    samedi 19 novembre 2011

    7

    [Bon en avant pour cette dernière note, comme je le disais ailleurs, cette "chose" n'a jamais été finie, bien sûr, il y a une dizaine de pages derrière, que je pourrai filer aux plus motivés, mais rien que je ne sois certaine de garder, ce dont je suis sûre s'arrête ici][et bientôt, reprise de l'activité normale...]

    Une jeune professeure était en route pour leur salle de classe principale. Celle où ils devaient avoir cours sans trop savoir sur quoi. Toutes les têtes de leur promo se collèrent aux vitres, suivant le passage de cette blonde à la trentaine glorieuse, les garçons pour des raisons évidentes, les filles parce qu’elles étaient particulièrement inquiètes de voir cette enseignante trimballer une trentaine de blouses blanches dans ses bras. 
    On entendit quelques « What the fuck » résonner.
    Peut-être même que l’un d’eux provenait de la jolie bouche de Jude.
    La main de Pierre l’encouragea à avancer. Sauf qu’elle ne voulait pas. Comme un mauvais pressentiment s’insinuait et même le contact entre eux ne le calmait pas.
    Elle se détourna de lui et jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, le jeune homme semblait complètement se désintéresser d’elle, en fait, elle comprit que son geste n’avait pour but que de la pousser de son chemin.
    Jude le regardait emboiter le pas à la nouvelle prof, hébétée.
    Son malaise grandit jusqu’à la tromper, elle cru à une soudaine envie d’aller aux toilettes mais lorsqu’elle fut sur place, rien.
    Au lieu de s’enfermer dans une des cabines puantes et tagguées elle se regarda fermement dans le miroir. Et cela dura, dura, dura. Les chiffres de sa montre numérique se succédaient mais elle les voyait à l’envers. Il lui fallut de l’eau glacée en abondance pour se sortir de cette torpeur. Ca et l’impression envahissante que Pierre était en pleine détresse.
    Idée folle. Pour Jude, il était inconcevable qu’un type comme lui puisse atteindre un quelconque degré de perdition.
    Cependant elle marcha à sa rencontre, et entra en plein cours. Ne portant pas plus d’intérêt que ça à la voix qui sonnait comme un clairon en lui disant :
             _ Andrews, je présume, la dernière sur la liste... Prenez donc une blouse et choisissez un coéquipier.
    La jeune fille ne bougea pas, pour toute réponse elle grimaça à l’impétueuse. Une odeur de mort emplissait la salle… Et Jude n’avait qu’à baisser les yeux pour en connaître la cause. Quelques souris blanches et un rat étaient figés, étalés sur la paillasse de fortune incarnée par le bureau du professeur.
    Sans respirer, le cœur battant dans les tempes, elle rejoignit une grande silhouette appuyée sur le rebord de la fenêtre, le dos tourné à l’assemblée.
    Quand elle posa sa main sur son omoplate elle le sentit émettre un léger gémissement.
    La tête de Pierre se baissa et disparut pratiquement à la vue de tous. Il tremblait.
    C’est un instant, un instant dans cette suite de petits événements qui a fait sens dans l’esprit de Jude.
    Instinctivement. Comme si elle l’avait déjà fait, se cachant des autres derrière la stature de son ami, elle dégagea ses cheveux de son cou.
    Elle sentait le regard de Pierre sans oser le croiser. De peur d’y voir l’étincelle qui mettrait le feu à leur relation.
             _ Fais-le, ça ira mieux.
    Comme elle passait une main sous sa blouse pour rapprocher leurs deux corps, il grogna de plus belle, luttant intérieurement.
    Le brouhaha de la classe dissimulait les sons et les actes du couple. Tous les élèves avaient à présent ouvert leur souris respectives en deux. Cela empirait grandement les choses, il fallait qu’il la choisisse elle plutôt que le reste de la promotion.
    Elle se serra tout contre lui et attendit, forcément crispée.
    Puis elle sentit des mèches folles venir lui caresser les joues, un souffle, des lèvres contre son cou.
    1… 2… 3…
    La douleur était plus cuisante qu’elle ne l’aurait pensée. Mais comment s’imaginer que le type bizarre avec qui elle jouait un chassé-croisé plein de promiscuité aurait besoin, un jour, de s’abreuver à une de ses veines.
    Ce n’était pas un déchirement, c’était plutôt chirurgical, ce qui ne veut pas dire indolore. Ici, aucun anesthésiant. Seulement l’adrénaline. Et cela était loin de suffire quand trois centimètres d’émail débarquent sans prévenir dans la partie la plus fine et sensible de votre corps.
    Jude fit le rapprochement un peu facile entre l’acte sexuel et ce qu’elle était entrain de vivre, surtout lorsqu’elle se sentit s’habituer à la pression des lèvres, les sentant presque plus que les canines, et que la fuite de son propre sang vers un corps étranger la fit doucement vaciller.
    Comme ces alpinistes pris au piège dans des trous de glace, elle sentit le froid l’envahir, le calme faire place, son cœur ralentir. Les survivants qui se sentent partir luttent pour ne pas s’endormir. C’est pourquoi Juliannah avait les yeux écarquillés ne voyant rien de bien passionnant à part quelques épis de blond parsemant un plafond en contreplaqué. Ou bien était-ce du bois ?
    Juliannah pensait aux enfants qu’elle n’avait jamais voulus. Elle aurait presque pu rire de ne toujours pas en vouloir, alors au seuil de la mort.
    La mort.
    Le mot était prononcé mentalement.
    Viscéralement, il prenait une place dans tout l’être de la jeune fille. Cherchant à chasser les bribes de vie, de chaleur et toute trace éventuelle de lutte, de résistance.
    Elle savait qu’il allait trop loin. Ce n’était pas son intention de se suicider en pleine classe, encore moins dans les bras d’un garçon qu’elle aimait sans doute un peu trop et qu’on accuserait sûrement d’un meurtre pas si évident.
    Pour cela, et seulement à ce moment, elle réussit à faire rouler sa nuque de l’emprise de son amant.
    Le nouveau grognement – mais cette fois de mécontentement – de Pierre fut étouffé par la peau de Jude qui, dans un murmure rauque émit un mot qui ressemblait à « Stop ».
    C’est presque à regret que l’invasion s’arrêta, et Jude était dans un état proche de celui d’un junky en plein rush.
    Sa tête ne se tenait plus toute seule et atterrit dans les deux mains du jeune homme ; elle s’y logeait parfaitement.
    Ayant retrouvé toute sa vigueur, et plus encore, Pierre émit un « Oh non », dont toute la classe profita.
    Vif, de par sa nature, celle-là même qui ne saurait être dévoilée, il balaya la pièce du regard, lançant à l’assemblée que Jude s’était évanoui.
    Quelques rires fusèrent. Beaucoup comprenaient mais se taisaient. Une souris ça a beau être petit, la découper c’est impressionnant.
    Les filles trouvèrent Saint-Just d’une force princière lorsqu’il souleva sa camarade et la transporta en deux pas hors de la salle. Les garçons le trouvèrent un peu over-dramatique dans sa démarche et son empressement. Les deux groupes reprirent pourtant quasi instantanément leurs petites affaires, laissant ces deux personnages aux leurs, qui, manifestement n’avaient rien en commun.

    Folle. Folle.
    C’est le mot que les dents maintenant rétractées de Pierre Saint-Just laissaient filer.
    Jude, elle, se contenta d’étirer un sourire et de dire « pas l’hôpital ».
    Outre l’explication plus que douteuse que les jeunes gens auraient dû fournir, Pierre savait. Il savait qu’elle était AB- bien avant d’avoir pu la goûter. Son odeur était différente depuis le départ. Depuis le métro. Le groupe sanguin le plus rare, qui ne peut recevoir de don que de son propre groupe : le serpent qui se mord la queue.
    Peu de gens ont le souvenir d’avoir vu ce jour-là un élégant garçon en blouse blanche transporter ce qui ressemblait vaguement à un cadavre d’un bout à l’autre d’une avenue de Paris.
    Pourtant, c’est à pieds qu’il l’amena chez lui. Chez eux. C’est du bout de ses bras qu’il la laissa rouler sur le lit. La plaie à son cou déjà refermée. Propriété antiseptique de la morsure du vampire oblige.
    Vampire.
    Pierre Saint-Just n’avait plus pensé à lui de la sorte depuis des années.
    Comme un humain ne réfléchit sans doute que rarement à son statut racial.
    Comment cette petite chose de 22 ans avait-elle pu deviner son mal ? Le ressentir… et savoir quoi faire.
    C’est alors qu’il se rappela.
    « Juliannah Andrews, elle nous pose problème et elle ne devrait pas. Débrouille-toi comme tu veux, Saint-Just, débrouille-toi mais découvre ce qu’elle sait, et agis en conséquences. »
    Alors Pierre Saint-Just avait obéi, pouvait il en être autrement ? Il avait intercepté le sac de la jeune fille dès leur première rencontre.
    Une chance.
    Lorsqu’il avait fouillé en un temps record ses fichiers et ses écrits, il était bien vite tombé sur ce qui causait tant de trouble à ceux qui étaient plus hauts placés que lui encore.
    Une ébauche de roman. Pas mauvais. Reprenant les mythes les moins éculés sur sa race, un roman… Il n’y avait pas de doute, Pierre le savait, le sentait, personne ne prendrait jamais ces mots au sérieux. Tout au plus servirait il à un divertissement participant au folklore vampirique : leur meilleur atout. Car lorsque l’on guettait une créature à l’œil bigarré intolérant à l’ail ne se reflétant pas, on passait systématiquement à côté des vrais.
    Et pourtant ils étaient partout. Les Arts, les finances, le crime, bien entendu… mais plus la politique. Plus depuis la révolution. Car s’il est vrai qu’une guillotine viendrait à bout de n’importe quel humain, les vampires n’avaient pas échappé à la règle. Comment non-vivre sans tête ?
    La décapitation restait le moyen principal d’en venir à bout.
    Les Anciens avaient surtout peur de ces petites fourmis perspicaces qui établissaient sur leurs tableurs des listings interminables de supposées créatures de la nuit. Juliannah avait été repérée, à cause des recherches assez poussées qu’elle avait menées sur le net (où l’impunité est une légende urbaine).
             _ Jude, si tu t’endors, tu meures.
             _ Je ferme juste les yeux…
             _ Je te l’interdis.
    Sauf que : sans conscience, son pouvoir de fascination sur elle n’avait aucune prise, et il avait beau l’invectiver, elle ne pouvait plus lui répondre.
    Il tenait à elle, oui, mais à aucun moment il ne pensa à lui injecter son propre sang dans les veines. Ce qui l’aurait tuée, certes, mais aussi sauvée.
    A chaque fois qu’il la réveillait, elle entrouvrait des yeux presque sans chaleur.
    Il l’enterra sous des couvertures, la secoua de temps en temps, et pensa à appeler quelqu’un. Seulement en 10 ans de vague à l’âme, il avait perdu de vue la plupart de ses amis, et en 10 ans, les téléphones portables étaient apparus, Internet s’était développé, mais les télécommunications entre vampires : non.
    La méfiance prévalait en ces années où la vie privée n’était plus qu’une notion approximative.
    Chacun pour soi.
    Il regarda Jude, qui n’avait pas agit pour elle-même, il réalisa que c’était elle qu’il voulait appeler.
    L’embrasser n’était pas une tentative de sauvetage de conte de fée, c’était une manière de se rassurer, de sentir qu’elle pouvait encore répondre.
    Pour la première fois depuis des dizaines d’années, Pierre s’enfonça dans le désarroi, sa figure sans rides nichée au creux du cou de la jeune fille.
    Il n’avait pas le droit de s’endormir, mais n’avait tout simplement pas la force d’assister au combat de Jude.

    C’est un contact sec mais doux qui le tira de sa stupeur, les heures avaient défilées. Il crut qu’il avait rêvé et hésita à ouvrir les yeux.
    Des doigts se mirent à parcourir ses cheveux hirsutes, beaucoup trop longs pour des cheveux courts.
    Un sourire faible l’accueillit. Ils avaient beau être nez à nez, il dut toucher ses lèvres pour s’assurer qu’elles n’étaient pas froides. La couleur avait déguerpi.
    Aucune question ne fusa de sa part, mais il savait pertinemment que l’heure était aux explications.

    vendredi 18 novembre 2011

    6


    Souhaiterais-tu découvrir la partie habitable à l’année de mon jardin secret ?
    Je ne suis pas très sûre…
    C’était la deuxième fois qu’elle émettait des doutes. Qu’elle s’opposait à sa volonté. Et c’était une chose inacceptable. Il fallait y remédier.
             C’est à deux pas. Je te fais visiter et tu es libre.
    Pour la première fois, Jude parvint à capter son instinct à travers les ondes envahissantes de l’aura de son interlocuteur.
             Non.
             Non ?
             Non...
             Mais…
    Et sans demander son reste, Jude se retourna. Apparemment on ne disait pas « non » à un Saint-Just
             Il faut pourtant que je te montre quelque chose.
             On se voit demain, Pierre.
             Mais…
    Il la rattrapa.
             Jude, je te le demande.
             Si tu me fais une demande, j’ai le droit de t’en faire une en retour.
    De déstabilisation en déstabilisation, elle avait réussi à le cerner.
             Soit.
             Pourquoi ? Et tâche d’être précis.
    Elle connaissait parfaitement son irritabilité lorsqu’il était questionné – c’était la seule facette de sa personnalité qu’elle maîtrisait assez pour en jouer.
    Saint-Just la dépassa, un « Parfait ! » s’échappa de ses lèvres serrées et, le regard noir, il s’engouffra boulevard Saint Michel. Bientôt il était à 100 mètres, et Jude restait plantée là, subissant les affres d’avoir contrarié son autre. Sans se donner plus de raison, elle fonça sur les pas du garçon, tentant malgré sa petite forme d’arriver à sa hauteur.
    Lorsqu’elle réussit à le rejoindre, il l’accueillit avec un sourire narquois. Il était appuyé contre une porte en bois. Elle eut l’envie brutale de rebrousser chemin : jamais elle n’avait voulu se retrouver là.
             Pierre ! J’ai détesté te voir partir comme ça. Tu me dois une réponse !
             Bon, je te préviens, je ne peux pas te faire visiter… je ne m’attendais pas à te voir, et rien n’est en état… mais le salon est assez grand pour qu’on y tienne.
    Avec un nom et une adresse pareille, il devait forcément avoir plus qu’un studio. Jude se laissa pousser dans une succession d’escaliers. Pas de marbre. Pas de tapisseries. Juste du bois semblant précieux, mais elle n’aurait pu en jurer.
    Il la fit entrer, d’abord un vestibule meublé avec des tables et des comptoirs supportant des objets sans aucune utilité. Des œuvres design pour la plupart.
    Une première pièce ne servant à rien et faisant à peu près la taille de l’appartement de Jude.
    Puis le fameux « salon », qui équivalait en surface à un petit amphithéâtre de La Sorbonne.
             Mon dieu. J’ai l’impression d’être une tâche.
    Il rit de bon cœur et la poussa dans une causeuse, s’affalant à ses côtés.
    Mais non. On s’y habitue vite.
    Et je dis quoi si je croise tes parents ?
    Le rire se transforma en un quasi-étouffement et il mit plusieurs minutes à s’en remettre.
             Aucune chance. Vraiment. On est chez moi ici.
    Jude se dit qu’il avait sans doute hérité, mais l’hilarité du garçon semblait en désaccord avec cette thèse.
             Tu voulais me montrer quelque chose ?
    Il ne répondit pas et se contenta de la dévisager avec des yeux pleins d’une sorte d’appétit qu’elle ne leur connaissait pas.
             Je voudrais qu’on se mette d’accord.
             Sur ?
             Sur le fait que ce ne soit ni toi, ni moi qui avons influé en quoi que ce soit sur la sélection de cette classe.
             Comment l’aurais-je fait ?
             Ce n’est pas moi non plus… Je n’avais aucune idée de ta présence jusqu’à ce matin. Et tu peux me croire, je me laisse rarement surprendre.
             Donc tu veux trouver un arrangement pour que je quitte la promotion ?
    Il la jaugea un instant, essayant de déterminer à quel point elle était sérieuse.
             Jamais je ne ferai une chose pareille.
             Je te crois. Mais qu’est-ce que tu veux alors ?
             Ton aide.
             Pas en math, j’espère.
             Non. Je pense exceller dans à peu près tout ce qu’on nous proposera, ce n’est pas le problème. Mais… J’ai des obligations en dehors de la Fac. Du genre inévitable.
             Comme conduire le métro ?
    Il parut décontenancé.
             Ce sont des inconvénients qui peuvent arriver. Mais s’il te plaît, arrête ces questions.
             Ok.
             Bien. Je… je vais devoir m’absenter parfois, n’être là que le matin, par exemple, il faudrait que tu me couvres. Auprès des profs, des autres, de l’administration.
             En gros, tu me proposes que nous soyons amis.
    Cette idée parut faire sens d’un coup d’un seul dans la tête du jeune homme et il approuva longuement.
             Bien sûr, j’essaierai de te rendre la vie plus facile quand je le pourrais à mon tour.
             Bien sûr...

    jeudi 17 novembre 2011

    5

     Et on repart en avant... (suite chronologique du 1) :

    Elle ne croyait pas aux coïncidences, encore moins au destin – pas plus à la colère de voir un ex débarquer du néant.
    Ce n’était pas son ex. C’était juste ce type. Affolant mais qui ne l’avait jamais rendue folle, ni malheureuse. Un garçon beau comme un dieu, galant comme un diable, qui apparaissait et disparaissait à sa guise et dont la présence ne permettait aucune question.
    Jude –d’un coup, elle était redevenue Jude- fixa le tableau comme s’il était la plus passionnante pièce de la création (alors qu’en fait, celle-ci se trouvait certainement à ses côtés). Peu importe ce que disait le professeur, sauf quand il commença à vouloir faire le tour des curriculums de toute son assemblée.
    A ce moment précis, elle trembla. Plus pour ce qu’allait dire son voisin que pour son propre discours.
    Mais ils étaient au centre de la pièce, et par conséquence pas les premiers à prendre la parole.
    Une fille encore plus blonde que Pierre étala son parcours, de grandes écoles en stages de luxe, le professeur, dans un sourire entendu releva le nom de famille en demandant « la fille de… ? » qui se vit récompensé d’une réponse affirmative.
    Lorsque la vague arriva derrière eux, les deux du milieu, elle le regarda en panique, cherchant une réponse à qui s’élancerait en premier. Il ouvrit juste la main en signe de retrait.
    Elle balbutia son nom mais reprit de sa superbe au moment de lister son parcours, loin d’être chaotique, mais tellement différent des autres. Elle se trouvait dans une situation critique : soit elle s’imposait comme unique, orientait ses différences comme sa force et s’appliquait un masque de rareté, soit elle plongeait dans la lie marginale d’une classe possédant déjà ses codes. D’un coup, la présence incongrue de Pierre à ses côtés lui parue comme anecdotique, et elle l’oublia vite.
    Le flot de ses paroles résonna longtemps après qu’elle eut fermé la bouche, un silence d’or s’était établi après les deux premières phrases, elle s’était assise sur un trône tout en haut d’une tour d’ébène.
    Des mots simples et droits, une confiance en elle rayonnante, cela suffisait aux yeux de l’auditoire… pour l’instant.
    A peine calmée de sa prestation, le souvenir de celle à venir la frappa.
    Elle se plaça de trois-quarts pour observer son voisin entre deux mèches de cheveux.
    Il resta dans une position décontractée sans pour autant paraître provocant, ses yeux s’ouvrirent grand pour épouser ceux de son interlocuteur principal. Une autoroute les liait à ceux du professeur.
             Pierre Saint-Just…
             … révolutionnaire !
    Il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui gagnent.
             Vous devez avoir l’habitude des remarques sur votre nom, mais cela m’intéresserait de connaître sa provenance.
             Moi également. Malheureusement, je suis le dernier de ma lignée, et personne n’est en mesure de répondre à nos questions.
             Le ton était ferme et mettait fin à toute réplique.
             Dîtes moi d’où vous venez, vous, cela nous suffira.
             Un pur produit de Paris ayant poursuivi des études littéraires fort peu passionnantes et qui espère trouver la lumière ici, enfin.
    Malgré l’abondance de détails qui avaient fusés sur les vies professionnelles des membres de cette classe, la réponse laconique du voisin de Jude semblait combler l’inquisiteur.
    Deux sourires discrets entre l’étudiant et l’enseignant (bien que les rôles semblaient confus) plus tard, la ronde reprit son cours. Avec plus d’hésitations, et quelques regards curieux envers cet énergumène à la voix grave.
    Puis une pause fut décidée à l’unanimité.
    Pierre se leva naturellement, et n’évita pas le regard de sa voisine.
    Il passa une écharpe, histoire de lui faire comprendre qu’il comptait sortir, ce à quoi elle répondit en emportant sa veste.
    Après avoir parcouru une moitié de couloir côte à côte, Jude céda à la pression du silence :
             Tu n’es manifestement pas conducteur de métro.
    Il eut un petit rire qu’elle ne lui connaissait pas. Un rire qu’elle enregistra en pensant qu’elle ferait tout son possible pour lui soutirer de nouveau.
             Je suis étudiant, tout comme toi.
    Posés contre un pilier, ils se regardaient comme des amis qui n’avaient pas besoin de paroles.
    Elle s’attendait à ce qu’il fume, mais rien.
             Je suis aussi surpris que tu l’es, je t’assure.
    Sans savoir si elle le croyait, ils reprirent leur lente marche synchronisée, étonnante à voir ; on pouvait, en effet, supposer que Jude faisait deux pas quand il n’en avait qu’un à faire.
    Déjà, tous les regards étaient sur eux, et plus tard, lorsque Jude se rendit dans le lieu où les langues se délient – les toilettes des filles – elle fut assaillie de questions : « Saint-Just, c’est ton frère ? » - « Le grand blond, tu le connaissais avant ? » - « Vous êtes ensembles ? ». Ce à quoi elle répondit « Non, jusqu’à preuve du contraire » - « Vaguement » - « … ». Elle claqua la porte sans avoir l’air de le faire, et retourna à sa place.