mardi 31 décembre 2024

It may feel bad

 


Une année de perte d'identité de plus qui a commencé par la question : mieux vaut-il être seule ou mal accompagnée ? Et qui se termine de la même manière, sans qu'aucune des options ne convienne. Comme souvent, la vérité est au milieu : se contenter des moments de plus en plus rare où les autres partagent un peu de leur temps. Leurs familles ne sont souvent pas plus saines que celle avec qui j'ai coupé les ponts, je l'ai appris à mes dépends en tentant le tout pour le tout, l'année dernière, afin de ne pas passer le 31 toute seule. 

Alors ce soir, je le suis. Pour le meilleur, pour le pire. Et je dresse un bilan, en cet endroit qui m'a si longtemps servi et que je délaisse.

L'autre fil rouge de 2024, c'est d'avoir tant dépensé, en temps, en énergie, en monnaie sonnante, pour prendre soin de moi, ou tenter de le faire, sans que cela ne change grand-chose : si le monde veut nous nuire, peu importe le nombre de smics claqués en orthoptie, EMDR, pair-aidance, TCC, thérapie dialectique, clinique du sommeil.

On arrête des traitements pour y voir plus clair sur ce qui cloche, on trouve des pathologies rares (#pokemonshiny)(1/100 000 personnes)(yes, I), on démarre d'autres médocs, on m'attache à une machine la nuit (et pas du genre robot sexy...)

Quelques échappées, pourtant, remplissent les poumons d'un air trop rare mais culturellement, peu de neuf, beaucoup de vieux (Les Libertines, Tahiti80, Stuck in the sound, pour le come-back, Rock Horror Picture Show sur scène pour le recyclage, I monster à la Maroquinerie pour le rattrapage de ce que j'ai loupé ado)

Des tentatives pourtant nombreuses pour sortir de ma zone de confort qui se sont révélées chagrin. Le chaos du monde mondial qui créé des remous jusque dans l'intime. L'inconséquence d'une industrie culturelle, censée être à part, où tout va toujours plus vite. Trop vite.

S'en sortir par les chemins de traverse, la débrouille, la survie, comme toujours : c'est en devenant cat-sitteuse que j'ai fait mes plus belles rencontres. Celles non-verbales, à l'individualité assumée. A la fierté même dans les dérapages. A la moustache dressée et le poil brillant. 

C'était ma grosse victoire de cette année, décrocher un certificat moi qui suis si inadaptée aux examens, aux chiffres à retenir par coeur, aux cours où il faut rester assis bien sagement. 

J'oscille entre stagnation et périclitassions (ce mot !) Je suis comme cet arbre qui tombe dans la forêt. Sans personne pour l'observer, a-t-il vraiment existé ? 

Je retiens des virées épiques à Moret-sur-Loing, à Rouen, dans l'excentrique musée Flaubert & de la médecine & un peu de Pierre Corneille aussi & il y a des momies, parce que pourquoi pas, sur l'île de Wight et son ferry au temps suspendu. Toutes ces envolées qui laissent un vide abyssal derrière elles, à se ce demander si ces expériences valent d'être vécues tant leur absence, au quotidien, est une souffrance.

Je ne vais pas vous laisser comme ça, à chouiner dans votre coupette, alors voici les coups de coeur, car il y en a eu. 

Johnson solo est un rat de musées, c'est l'équivalent pour moi de Disney, et l'endroit qui tire son épingle du jeu, haut la main, c'est le minuscule musée Zadkine et son expo Chana Orloff en début d'année, et Modigliani (amour de ma vie) en sa fin. Ca a été l'occasion pour moi d'explorer les vestiges du Montparnasse, de voir tous ces lieux de gloire à l'abandon avant de me consoler au musée Bourdelle qui a su si bien conserver tout le patrimoine de cette époque. 

Bien sûr, il y a eu des comédies musicales #lesangdelaveine, Les Miz à Paris, l'événement pour moi plus que les jeux olympiques, vus deux fois, et encore plus apprécié qu'à Londres où la nouvelle mise en scène, cheap, a été une déception, cette production m'a rabibochée. Grande année pour Hugo, mort flamboyant s'il en est.

Mention "ugly cry" pour Next to normal, oeuvre qui, bien qu'elle commence à dater et être datée sous certains aspect, a été une véritable claquasse dans ma gueule et a fait s'effondrer les 3/4 de son auditoire (c'était au West End, ne cherchez pas sur Paris, ça n'existe pas).

Je ne mets pas Yannis my old pal Philippakis dans les moments nostalgiques car je l'ai vu dans une nouvelle formation (Yannis & the yaw) et que c'était un renouveau salutaire qui m'a remplie de joie et d'une légèreté passionnée. 

Et puis, comment ne pas parler du bulldozer : Romance de Fontaines D.C. album de l'année si ce n'est de la décennie. C'est par la petite porte et l'album solo de Grian que je les ai vraiment découverts (avant ils étaient comme ces gens qu'on croise sans les voir)(et c'est souvent les gens les plus importants sur lesquels on passe sans se retourner)(AHEM)

Leur concert, un 13 novembre, a guéri pas mal de choses en moi, et m'a montré que si j'étais effectivement très seule, il existait encore des gens fanatiques de cette même musique, même si nous ne sommes plus beaucoup et un peu désuets. 

Mentions honorables en vrac : "Angel of my dreams" de Jade (ex Little Mix) pour son clip (easter egg alert si vous êtes fans de Fontaines D.C.), le groupe NewDad, The Last dinner party bien sûr, Wunderhorse, Chappell Roan (mais est-ce nécessaire de le préciser ?) et une résurgence assez monomaniaque du groupe Metric dans mes playlists. Très bon crû à l'Eurovision cette année (Nemo, Baby Lasagna, Bambi Thug, c'est tout ce qu'on aime). Enfin, j'ai plus croisé Lias Saoudi cette année que ma propre meilleure amie (il a été fourré à Paris et elle a eu un bébé, no judging), il est toujours merveilleux, et dégueu, et un génie littéraire, et malaisant, et sexy. On l'aime. Enfin, moi. Mais c'est déjà beaucoup, car mon coeur est énorme. Et il s'est serré fort en voyant la part belle faite à la French Touch cet été, merci Thomas Jolly, pour ça pour Starmania. Et merci Arté, pour l'ensemble de votre oeuvre et pour le docu sur DJ Mehdi.

Je vous laisse sur Christmas is back in time, de Gaspard Royant car vive la France, mais pas trop quand même. 

2025, l'année où on trinque, sera encore plus solitaire, j'en suis sûre, encore plus chaotique, en espérant que les rares rayons solaires soient plus vifs, et réchauffent juste ce qu'il faut.

L'arbre dans la forêt va se taire maintenant, mais a-t-il vraiment déjà parlé ? 



lundi 11 novembre 2024

I knew the pathway like the back of my hand

 



Il fait plus sombre, dans le XXème, la nuit.

C'est peut-être parce que maintenant je vis dans le sud. De Paris.

Alors que je reviens à ma première adresse, je trouve le ciel plus haut, plus opaque. Comme quand je le regardais depuis le 4e étage, Porte de Bagnolet. 

Mes grandes fenêtres m'offraient une vue sur un petit jardin sur les toits, en biais, et sur le torse alangui de l'étudiant du 3e étage, en face.

C'était un appartement sans repos : bruyant, humide, envahi, moisi. C'était mon premier, à Paris. 

Quand je suis retournée dans mon quartier, je ne m'y suis pas sentie en sécurité. En cela, rien n'a changé. Des hommes sur des chaises de camping devant des échoppes où personne d'autre n'entre que la misère. Beaucoup d'escrocs, de gens perdus, mais aussi de vrais prédateurs organisés à deux pour me prendre en étau et me pourchasser jusque dans ma cage d'escalier.

Le voisin échevelé du dessus, qui transformait son appart en club d'after toutes les nuits à 5h. Le boucher du rdc qui commençait, peu de temps après, à taper si fort dans ses carcasses que les murs en tremblaient. L'épicier d'en face qui balayait du rien sur le goudron en tentant de chasser son ennui à chaque coup de bras, la voisine nympho, de l'autre côté du mur, qui a succédé au vieux sourde et sa télé tonitruante. Lui, au moins, se couchait tôt, se réveillait tard et ne complimentait pas en hurlant la performance de ses amants.

Le "vieux" quarantenaire décati, juste en-dessous, une sorte de Vernon Subutex sans superbe, qui a vécu des années avec une vitre cassée. Le clodo de la place, qu'on n'a plus revu lui et sa radio beuglante, une fois qu'il a invoqué Al Qaïda. 

Dans cet appart, j'ai passé mon chômage de fin d'études devant les révolutions arabes, puis Fukushima, en me réjouissant, en tremblant. En fêtant d'une pizza dégueu à la truffe mon premier job de grande. J'y ai vécu avec My Sorry Ever After, même s'il ne fallait pas le dire.

Enfin pas trop.

Enfin pas comme ça.

Les voisins doivent se souvenir de moi comme l'hystéro accro au karaoké qui a retenu la jambe d'un colosse russe suspendu au-dessus du vide depuis sa fenêtre. 

J'y ai eu mon premier amant, un autre, et sur mon canapé-lit, se sont succédés des gens qui font toujours partie de ma vie. Alors oui, le ciel est plus sombre, dans le XXème, mais dans mon coeur, il est aussi plus claire et quand j'y songe, il rend mon âme bien plus légère.

mercredi 7 août 2024

And I don't want the world to see me

 

[... 'Cause I don't think that they'd understand]

Je me suis toujours trimballé une épée de Damoclès au-dessus du crâne. Comme pour tout, on s'y habitue. 

Quand on représente le plus grand danger pour soi-même, on acquiert une sorte de légèreté par rapport aux aléas de la vie. 

J'ai très vite fait tope-là avec la mort, sachant qu'elle accompagnerait chacun de mes pas et qu'il valait mieux m'en faire une alliée. 

Comme de beaucoup d'autres de mes compagnonnes, je me languis d'elle en ce moment. Pas d'une manière ultra dramatique comme j'en ai eu longtemps l'habitude, mais d'une manière un peu plus lasse, comme une mamie centenaire en soins palliatifs qui s'exclamerait "bon, c'est pas bientôt fini ces conneries ?"

Je n'ai jamais été très optimiste, et le monde m'a donné raison, sur beaucoup de plans. Ces "à quoi bon ?" que j'enfilais comme des perles, alors qu'il me restait des buts, des envies, des choses pour raviver le feu, ont trouvé une résonnance réelle dans un quotidien passée cloîtrée devant un écran, tout ça pour gagner une vie qui n'aura jamais vraiment valu la peine d'être vécue. 

Tant que j'étais dans l'action, la jeunesse, que je me focalisais sur l'après, j'étais animée d'une vibration à peu près inarrêtable. L'après, on m'avait toujours dit que ce serait mieux. Qu'à un moment tout se stabiliserai, le fric, le statut social, la santé mentale. Qu'on était couronné, à la fin du marathon, par une forme de sagesse, comme dirait l'autre trou de balle, qui permettait que tout glisse sur soi pour enfin se mettre en place.

Comme s'il y avait une solution providentielle au problème que représente la vie. Comme j'ai longtemps cru qu'il y aurait quelqu'un de providentiel, me prenant porte sur porte en allant chercher du côté des hommes (décevant, ne tentez pas l'expérience à la maison) pour trouver un semblant de réponse avec un groupe d'amies qui flotte toujours dans ma périphérie sans plus trop me connaitre vraiment, parce que pas le temps, parce que leurs épées de Damoclès à elles aussi tremblotent sur leurs fils, ou parce qu'elles, elles ont trouvé leurs personnes providentielles.

Mais voilà, pas de famille, d'origine ("j'aurais jamais dû te faire, tu es la plus grosse erreur de ma vie"), ni de destination. Je n'appartiens à personne, je suis encore moins indispensable que tout un chacun. Je regarde mes années honnies, de souffrance véritable, du lycée, de mes jeunes années étudiante, et je me demande si malgré toute la violence que j'y ai récolté, ce n'était pas les meilleures ? 

OK, boomeuse, un peu. Mais oui, ça y est, la vieillesse est là, et pas que dans mes articulations. Mon mental a du mal à suivre et pas seulement à cause de ma radicalité. Je sens que des choses m'échappent et que la mise à jour met du temps à être déployée dans mon système interne.

Mes lumières sont deux boules de poil à l'espérance de vie bien moindre que la mienne et, comme Antinoüs pour Hadrien, je sacrifierais volontiers mes "bonnes" années pour leur en octroyer plus. Mais non, la science ne va pas dans ce sens là. Elle développe des robots qui viennent ajouter à la concurrence. Ecrire et traduire à ma place. 

Me revoilà à frapper à toutes les portes pour obtenir des missions qui étaient, à l'époque, mon job étudiant, pour vous dire combien ça paye. Et même ça, c'est la croix et la bannière pour l'obtenir, malgré mon CV long comme un jour sans chats.

On me fait faire des sauts de cabri pour un CDD précaire payé au SMIC dans des conditions affligeantes, plus de deux mois d'essais et d'entretiens, d'enquêtes, de tests, de validations, plus longtemps en fait que la mission durera. 

Rien n'a de sens, alors les psys me disent d'en chercher auprès de mes personnes totems. Ils pensaient me faire découvrir la roue en me disant que je pouvais m'adresser dans ma tête aux personnes qui m'inspirent, pour trouver un peu de réconfort auprès d'elles et me sentir moins seule.

Sauf qu'intuitivement, c'est ce que j'ai toujours fait. Et mon petit côté fantasque de meuf qui décrète qu'elle va rendre visite à Oscar quand elle va en fait mener son pèlerinage vers sa dernière demeure, ça a été une forme primaire de thérapie. Un truc un peu pété que mon cerveau a trouvé tout seul pour rester à flot, malgré la merde qu'il m'envoyait à gérer par ailleurs. 

La vie bohème, c'est pas ouf sans absinthe, sans danseuses de cancan et sans de grands artistes sans le sous avec qui s'attabler jusqu'aux petites heures du matin. De nos jours, c'est étriqué. Je suis obligée de me tourner vers des petits jeux mobiles merdiques pour avoir assez de dopamine pour me motiver à aligner les chapitres de romans dont la morale me donne la gerbe. 

Les ailes qui avaient poussé avec l'afflux d'argent pèsent lourd maintenant que je suis de retour en galère. OK, ça ne fait pas le bonheur, mais ça y contribue tellement. La solitude était tellement moins grave quand je pouvais partir sur un coup de tête m'évader au West End, ou explorer les lieux que mes personnes totem ont arpenté de leur vivant, en essayant de courir après cette connexion qui n'aura jamais lieu, pour cause de problème d'espace-temps. 

Donc oui, rien n'est glorieux. On salue mon courage. Moi j'ai envie de répondre que j'ai pas le choix. Il faut bien profiter des moments où je ne suis pas en dépression pour mettre toutes mes forces dans la bataille de la survie parce que pour l'instant, j'ai légalement pas encore le droit de mourir.