Il fait plus sombre, dans le XXème, la nuit.
C'est peut-être parce que maintenant je vis dans le sud. De Paris.
Alors que je reviens à ma première adresse, je trouve le ciel plus haut, plus opaque. Comme quand je le regardais depuis le 4e étage, Porte de Bagnolet.
Mes grandes fenêtres m'offraient une vue sur un petit jardin sur les toits, en biais, et sur le torse alangui de l'étudiant du 3e étage, en face.
C'était un appartement sans repos : bruyant, humide, envahi, moisi. C'était mon premier, à Paris.
Quand je suis retournée dans mon quartier, je ne m'y suis pas sentie en sécurité. En cela, rien n'a changé. Des hommes sur des chaises de camping devant des échoppes où personne d'autre n'entre que la misère. Beaucoup d'escrocs, de gens perdus, mais aussi de vrais prédateurs organisés à deux pour me prendre en étau et me pourchasser jusque dans ma cage d'escalier.
Le voisin échevelé du dessus, qui transformait son appart en club d'after toutes les nuits à 5h. Le boucher du rdc qui commençait, peu de temps après, à taper si fort dans ses carcasses que les murs en tremblaient. L'épicier d'en face qui balayait du rien sur le goudron en tentant de chasser son ennui à chaque coup de bras, la voisine nympho, de l'autre côté du mur, qui a succédé au vieux sourde et sa télé tonitruante. Lui, au moins, se couchait tôt, se réveillait tard et ne complimentait pas en hurlant la performance de ses amants.
Le "vieux" quarantenaire décati, juste en-dessous, une sorte de Vernon Subutex sans superbe, qui a vécu des années avec une vitre cassée. Le clodo de la place, qu'on n'a plus revu lui et sa radio beuglante, une fois qu'il a invoqué Al Qaïda.
Dans cet appart, j'ai passé mon chômage de fin d'études devant les révolutions arabes, puis Fukushima, en me réjouissant, en tremblant. En fêtant d'une pizza dégueu à la truffe mon premier job de grande. J'y ai vécu avec My Sorry Ever After, même s'il ne fallait pas le dire.
Enfin pas trop.
Enfin pas comme ça.
Les voisins doivent se souvenir de moi comme l'hystéro accro au karaoké qui a retenu la jambe d'un colosse russe suspendu au-dessus du vide depuis sa fenêtre.
J'y ai eu mon premier amant, un autre, et sur mon canapé-lit, se sont succédés des gens qui font toujours partie de ma vie. Alors oui, le ciel est plus sombre, dans le XXème, mais dans mon coeur, il est aussi plus claire et quand j'y songe, il rend mon âme bien plus légère.