vendredi 18 novembre 2011

6


Souhaiterais-tu découvrir la partie habitable à l’année de mon jardin secret ?
Je ne suis pas très sûre…
C’était la deuxième fois qu’elle émettait des doutes. Qu’elle s’opposait à sa volonté. Et c’était une chose inacceptable. Il fallait y remédier.
         C’est à deux pas. Je te fais visiter et tu es libre.
Pour la première fois, Jude parvint à capter son instinct à travers les ondes envahissantes de l’aura de son interlocuteur.
         Non.
         Non ?
         Non...
         Mais…
Et sans demander son reste, Jude se retourna. Apparemment on ne disait pas « non » à un Saint-Just
         Il faut pourtant que je te montre quelque chose.
         On se voit demain, Pierre.
         Mais…
Il la rattrapa.
         Jude, je te le demande.
         Si tu me fais une demande, j’ai le droit de t’en faire une en retour.
De déstabilisation en déstabilisation, elle avait réussi à le cerner.
         Soit.
         Pourquoi ? Et tâche d’être précis.
Elle connaissait parfaitement son irritabilité lorsqu’il était questionné – c’était la seule facette de sa personnalité qu’elle maîtrisait assez pour en jouer.
Saint-Just la dépassa, un « Parfait ! » s’échappa de ses lèvres serrées et, le regard noir, il s’engouffra boulevard Saint Michel. Bientôt il était à 100 mètres, et Jude restait plantée là, subissant les affres d’avoir contrarié son autre. Sans se donner plus de raison, elle fonça sur les pas du garçon, tentant malgré sa petite forme d’arriver à sa hauteur.
Lorsqu’elle réussit à le rejoindre, il l’accueillit avec un sourire narquois. Il était appuyé contre une porte en bois. Elle eut l’envie brutale de rebrousser chemin : jamais elle n’avait voulu se retrouver là.
         Pierre ! J’ai détesté te voir partir comme ça. Tu me dois une réponse !
         Bon, je te préviens, je ne peux pas te faire visiter… je ne m’attendais pas à te voir, et rien n’est en état… mais le salon est assez grand pour qu’on y tienne.
Avec un nom et une adresse pareille, il devait forcément avoir plus qu’un studio. Jude se laissa pousser dans une succession d’escaliers. Pas de marbre. Pas de tapisseries. Juste du bois semblant précieux, mais elle n’aurait pu en jurer.
Il la fit entrer, d’abord un vestibule meublé avec des tables et des comptoirs supportant des objets sans aucune utilité. Des œuvres design pour la plupart.
Une première pièce ne servant à rien et faisant à peu près la taille de l’appartement de Jude.
Puis le fameux « salon », qui équivalait en surface à un petit amphithéâtre de La Sorbonne.
         Mon dieu. J’ai l’impression d’être une tâche.
Il rit de bon cœur et la poussa dans une causeuse, s’affalant à ses côtés.
Mais non. On s’y habitue vite.
Et je dis quoi si je croise tes parents ?
Le rire se transforma en un quasi-étouffement et il mit plusieurs minutes à s’en remettre.
         Aucune chance. Vraiment. On est chez moi ici.
Jude se dit qu’il avait sans doute hérité, mais l’hilarité du garçon semblait en désaccord avec cette thèse.
         Tu voulais me montrer quelque chose ?
Il ne répondit pas et se contenta de la dévisager avec des yeux pleins d’une sorte d’appétit qu’elle ne leur connaissait pas.
         Je voudrais qu’on se mette d’accord.
         Sur ?
         Sur le fait que ce ne soit ni toi, ni moi qui avons influé en quoi que ce soit sur la sélection de cette classe.
         Comment l’aurais-je fait ?
         Ce n’est pas moi non plus… Je n’avais aucune idée de ta présence jusqu’à ce matin. Et tu peux me croire, je me laisse rarement surprendre.
         Donc tu veux trouver un arrangement pour que je quitte la promotion ?
Il la jaugea un instant, essayant de déterminer à quel point elle était sérieuse.
         Jamais je ne ferai une chose pareille.
         Je te crois. Mais qu’est-ce que tu veux alors ?
         Ton aide.
         Pas en math, j’espère.
         Non. Je pense exceller dans à peu près tout ce qu’on nous proposera, ce n’est pas le problème. Mais… J’ai des obligations en dehors de la Fac. Du genre inévitable.
         Comme conduire le métro ?
Il parut décontenancé.
         Ce sont des inconvénients qui peuvent arriver. Mais s’il te plaît, arrête ces questions.
         Ok.
         Bien. Je… je vais devoir m’absenter parfois, n’être là que le matin, par exemple, il faudrait que tu me couvres. Auprès des profs, des autres, de l’administration.
         En gros, tu me proposes que nous soyons amis.
Cette idée parut faire sens d’un coup d’un seul dans la tête du jeune homme et il approuva longuement.
         Bien sûr, j’essaierai de te rendre la vie plus facile quand je le pourrais à mon tour.
         Bien sûr...

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