mardi 9 mai 2017

Yellow lorry slow, nowhere to go




"C'est bientôt votre tour, vous êtes 3e sur la liste"

Je hoche la tête, mais je suis au téléphone. Alors je sors un "oh, bon, bah, merci, hein, bonnejournéeaurevoir".

Certaines personnes sont couvertes de cicatrices. C'était le cas de MySorryEverAfter. Hiver comme été, il passait ses jours et ses nuits très peu couvert, et ce généralement dans mon lit. Notre relation avait beau être des plus platoniques, nous étions toujours peau contre peau. Et comme il dormait plus que moi, je passais de longues heures à le détailler. 
Il faisait partie de ces casse-cou à l'épiderme en dégradé de rose. Incise rouge vif datant du week-end dernier. Ovale blanc pâle d'une égratignure d'enfant. 
Quand il se réveillait, parfois, il daignait répondre à mes questions. Alors il me racontait leur histoire et ça se terminait souvent par "et mon père m'a recousu sans anesthésie sur la table de la cuisine."

Je me suis alors fait la réflexion que mes blessures à moi étaient injustes. Que mes cicatrices à moi étaient partout à l'intérieur. Hors de portée.
Personne n'irait me demander leur histoire. Personne ne les verrait jamais.
Etait-ce une chance, au fond ? Au moins, mon aspect extérieur porte un semblant de normalité. La plupart des gens superficiels ne s'arrêtent pas sur mon passage si je garde le silence.

Le souci, c'est que les séquelles se voient quand même. Je me trahis toute seule.
Quand j'ai le réflexe de me protéger dès que quelqu'un a un geste brusque. Quand j'hyperventile quand on s'approche trop près de moi. Quand je ne peux pas soutenir le regard de quelqu'un. Quand les nerfs lâchent quand on hausse la voix. 

Alors à un moment, j'ai arrêté de les cacher. De m'excuser de ces réactions. On a si peu d'énergie, pourquoi en perdre pour dissimuler les choses ? 
J'ai commencé à me livrer dans la vie comme sur ce blog. A expliquer pourquoi.
Pourquoi il me faut 3 jours de récupération après toute une soirée à devoir parler à des étrangers dans un contexte professionnel.
Pourquoi l'irritabilité et les sautes d'humeur. 
Pourquoi ça m'insupporte qu'on m'appelle stressée, déprimée et asociale. 
Pourquoi il vaut mieux dire "anxiété", "dépression" et "introversion". 

J'ai vécu des événements extrêmement traumatisants. J'ai survécu. Mais comme quelqu'un après un accident, je n'en suis pas sortie indemne. Alors ça s'est ajouté à certaines tendances naturelles, oui. Je suis le résultat de tout ça. Et c'est peut-être pas joli à voir, mais c'est comme ça.
Pour vous faire un tableau : imaginez qu'à l'intérieur de moi, ça ressemble au visage de Ribéry.

Et imaginez qu'autour, toute la journée, des gens - pas tous, mais la majorité - me lancent des variations de "Mais veux-tu bien cacher toute cette souffrance, impudente !"

Auxquelles je réponds pas, souvent, parce qu'ils m'ont déjà coupé la parole pour m'asséner leurs vérités. Mais après lesquelles je pense : "Nope."

Je n'ai jamais enterré les problèmes, je les ai toujours exposés. Je n'ai jamais caché la vérité, même quand ça m'a coûté. Je ne peux décemment pas être Happy Shiny Johnson H24, parce que oui, je porte en moi des troubles sociaux, une hypersensibilité et des traumas dont les déclencheurs sont partout et donc inévitables. 
Mieux : je ne veux pas l'être.

Je veux que ça arrête d'être inacceptable. Je veux que les gens malheureux arrêtent d'être traités en pestiférés. Personne ne veut être malheureux. Et ce n'est certainement pas en niant un malêtre que vous allez aider quelqu'un à aller mieux. Et qui vous demande d'aider ? Non. Contentez-vous de ne pas faire empirer les choses. De respecter la personne dans son entièreté, avec ses zones d'ombres, et pas seulement les aspects qui vous paraissent "socialement acceptables".

Il y a des professionnels pour aider les petites âmes noires, ceux qui se trimballent leur nuage gris en permanence au-dessus de la tête. Des professionnels qui vous mettent sur liste d'attente pendant des mois. Jusqu'à ce qu'un jour on vous dise "C'est bientôt votre tour, vous êtes 3e sur la liste".



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