lundi 4 février 2019

Ô Canada



Il y avait quelque chose d'infiniment libérateur à démarrer une nouvelle vie, sur un autre continent, avec seulement une valise.

Alors oui, c'était pour trois mois et la prise de risque était minimum : j'arrivais en pays francophone dans une culture nord-américaine que je maîtrisais déjà assez bien.

Cette solitude qui m’enveloppait était tout sauf angoissante. Il y avait un apaisement total, quand 18h sonnait, et que je savais que tous mes contacts allaient se coucher. Je me retrouvais alors seule au Canada, sans lien avec le vieux monde.

Déambuler dans ces rues où on ne peut pas se perdre, découvrir de nouvelles choses à chaque croisement, gambader parmi les petits animaux sauvages ou domestiques et savoir qu'à 20 minutes de métro, la nature reprenait ses droits.

Je pouvais tout faire (dans les limites de mon emploi du temps de stagiaire). A 17h, une nouvelle journée commençait.

Même lorsque le boulot, en France, m'obligeait à m'enchaîner à mon écran, je me calais, un coussin sous les fesses, au bord de ma fenêtre, et je regardais les allers et venues incessants des badauds rue Saint-Denis.

Je n'ai pas tardé à avoir des amis sur place. Mais ces premières semaines de Robinson du Québec (avec tout le confort moderne, on s'entend) ont été une expérience que je chérirai toujours.

Chaque jour, je me prouvais que je pouvais me débrouiller seule. Je me sentais forte. Je n'avais plus aucune obligation, plus aucun souci. Mon loyer était payé pour les trois mois, mon budget était relativement confortable, pas de chat à surveiller. Je ne devais rien, à personne. Pour une fois, mes amis venaient aux nouvelles, puisque ma présence en ligne était limitée et que je devais envoyer du rêve à travers les quelques photos postées.

Je me sentais loin mais bien.
Je n'ai jamais autant marché. Pris de photos.
Je suis beaucoup allée au cinéma, aussi, un bon moyen de se réchauffer avant de retraverser la ville pour rentrer.
La bière, la bouffe était bonne. Bien trop calorique, mais pas aussi catastrophique que dans la plupart des états américains que j'ai pu traverser.

Juste s'assoir sur un banc était une aventure. Il suffisait d'observer les gens, tous très différents, venant pour la plupart d'un autre pays, écouter les autres français et les maudire, observer les écureuils, les corbeaux, les chats et le ciel, bien plus haut qu'ici.

Cette liberté me manque cruellement. Paris m'écrase depuis mon retour. D'abord à coup de canicule, puis de dépression, et maintenant j'hiberne malgré moi alors que je n'ai jamais eu autant de boulot.

J'attends dans l'angoisse la plus totale de savoir si je serai tirée au sort parmi les 190 places restantes pour retourner au Canada. L'angoisse oscille : un jour j'ai peur d'être choisie, l'autre j'ai peur de ne jamais l'être.
La pessimiste profondément ancrée en moi sait que cela n'arrivera pas. Que je n'ai jamais eu de chance.
La petite chose traumatisée en moi proteste : non mais on va quand même pas prendre un risque pareil pour le chat ? on va pas lâcher cet appart trop pratique ? on va moins faire les malines quand on va débarquer et que deux semaines après tous les potes rentreront en France ! et puis, on y était au printemps ! tu vas faire quoi par -40 ou par +45 ?

J'essaie de faire taire l'une et l'autre en suivant une routine assez beige. Je suis fatiguée tout le temps, je dors douze heures par nuits et ça ne semble jamais suffire. Je n'ai même plus l'énergie de voir des amis, de leur proposer des choses, de sortir de chez moi partir à la recherche des derniers recoins inexplorés de Paris.

Je suis dans les limbes de ma vie en attendant qu'on m'en extirpe.
Si vous me croisez, ne me réveillez pas.

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