samedi 23 mars 2019

When you plug it in, will you dig the dirt



C'est un tournant toujours difficile de l'année. Mars est un de mes mois préférés, c'est souvent un tourbillon météorologique qui reflète parfaitement le bordel dans ma tête. Mais Mars est aussi plein de rendez-vous inamovibles qui sont source de stress. 

Je me sens toujours plus seule en mars. Peut-être est-ce que ça a un rapport avec le fait que, pendant des années, ma mère m'appelait pour savoir "à quelle date, exactement, j'étais née" ?
Peut-être parce que tous les ans, je tente quelque chose pour "célébrer" cette date et que ça rate. C'est jamais assez "petit". Je ne vois jamais les choses en pas-assez-grand. 

Bref, aujourd'hui, je me suis forcée à sortir de chez moi, car je savais que le tunnel de boulot dans lequel je m'étais enfoncée sans plus adresser la parole à personne (free-lance, baby), était dangereuse vu mon état mental actuel. 
La température était bonne et il n'y avait pas trop de soleil, parfait.
Je suis allée m'acheter un café géant et j'ai commencé à sonner les amis. Personne n'était dispo. Mais, rien d'étonnant, c'est très rare quand nos planètes s'alignent.

J'ai décidé d'explorer un coin de mon quartier que je ne visais que peu, par misanthropie, car trop plein de touristes, mais la saison n'est pas encore haute, alors je me suis enfoncée dans les dédales de pavés sans savoir vraiment ce que je cherchais.

Avec mon café dégueu à la main, j'avais une impression de vacances. 

Je suis tombée sur une succession de choses passionnantes - ce genre de choses devant lesquelles des gens peuvent passer très vite mais qui accrochent l'oeil et l'âme quand on est dans le bon état d'esprit. 

Et j'ai fini par m'aventurer par une porte ouverte, dans un jardin. Dedans, il y avait des tables et des chaises, des WC publics (c'est extrêmement important les WC publics, moi présidente, y en aurait partout), des oeuvres d'art, des grandszarbres, des curiosités, une médiathèque et... une expo Tomi Ungerer, dont je ne connaissais que l'oeuvre destinée à la jeunesse.

Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir un bonhomme follement attachant (ils passent un doc d'Arté le présentant chez lui, en Irlande) et une oeuvre bien plus dark que je ne l'aurais cru. 

Si, de prime abord, ce qui m'a frappé, c'est la joliesse de la personne qui surveillait l'expo, j'ai ensuite beaucoup souri devant les oeuvres. Une sorte de lien s'est immédiatement créé dans mon esprit, et mon empathie s'est réveillée.

Tous les possibles étaient réunis pour que j'ai un choc artistique, et il fut un peu tout autre, quand je me suis plantée devant ce dessin (intitulé En attendant) : 


C'est le choc du passé qui m'a saisi. D'un été, il y a vingt ans, en Europe centrale.  
Je crois que ce trauma est parmi mes favoris.
Imaginez donc : une petite fille dont la mère tient absolument à lui plaquer la main sur les yeux tandis que la fille déambule dans un camp de concentration. De temps en temps la main se soulève, elle glisse ou est retirée et la petite fille prend des polaroïds avec ses yeux.
De cela, il me reste pèle-mêle : un abat-jour en peau humaine, une table d'opération, des corps décharnés accrochés à des barbelés, de morceaux de savon. Finalement, je ne sais pas très bien ce que je n'y ai pas vu. 
Imaginez maintenant, cette même petite fille s'enfoncer dans un sous-sol, suivre les flèches par terre - car elle n'a pas le droit de lever les yeux - et s'enfoncer toujours plus loin. Jusqu'à ce que les panneaux explicatifs se fassent plus rares, soit tournés dans la mauvaise direction, que la peinture s'écaille, au fur à mesure, et que les flèches, sur le sol, seul guide de la petite fille, s'effacent de plus en plus. 
Imaginez une dernière fois, la petite fille qui se retourne et qui découvre que sa mère n'est plus là. 
Qu'elle est seule, dans la semi-obscurité, perdue, dans une cave de Mauthausen.

Je ne crois pas aux fantômes, mais fermement à ce qu'on appelle "la mémoire des murs". Ce que j'y ai vécu ne me quittera jamais.

Alors paye ton syndrome de l'abandon, oui. 
Bref, dans cette salle jolie du centre culturel irlandais, en plein cinquième arrondissement de Paris, par une fort jolie journée de Printemps, devant cette oeuvre de Tomi Ungerer, j'ai été transportée, seule, petite, dans les caves de Mauthausen. 

C'était un fort beau samedi (je suis née un samedi), le dernier avant mes 31 ans. Le dernier d'une année qui a été riche, et pauvre, et tragique, et magnifique tour à tour. 

C'est un petit miracle que j'ai survécu jusqu'ici, je le sais. Ma solitude est sans doute plus forte que jamais. J'ignore combien de temps, encore, je tiendrai. Le temps de vivre quelques jolies journées, encore, j'espère.

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