lundi 12 mai 2025

[Bacșiș 6] Quartiers nord


Le ciel était bleu, les oiseaux chantaient des trucs en -ul, et pour nous, c'était direction le nord de la ville et ses gigantesques parcs bordant un lac.

Le programme : visiter un musée à ciel ouvert qui allait nous faire gagner un temps précieux en nous présentant toutes les multiples architectures des maisons historiques des différents coins de la Roumanie





Le tout entrecoupé de chats encore plus friendly que partout ailleurs et de personnel de surveillance qui l'était encore moins. 







C'a été une sorte de retour en enfance, des longs moments d'errance dans les pays de l'est à une époque où on manquait encore de tout dans des restaurants trois fois trop grands, comme prêts à accueillir l'armée rouge à tout moment sans rien avoir à la carte à leur servir. 
C'est un peu ce qui est arrivé dans le seul restau du parc où, à chaque tentative de commander, le serveur nous répondait "on n'a plus !" en riant. 



Pour voguer vers notre prochaine destination, nous sommes passés par un parc rendant hommage aux grands hommes, à tous les grands hommes, de Victor Hugo à Leonard de Vinci en passant par... Michael Jackson. 


C'est rarement le cas, mais à Bucarest, les quartiers nords sont ceux de la richesse assumée, et les rue arborées sont remplies de maisons individuelles proches de villa, de manoirs et de mini-châteaux. Les voies ont des noms d'artistes connus et tout y est très propre et bien rangé (penser : Auteuil-Neuilly-Passy). 
Logique, donc, que le couple Ceausescu ait décidé de s'y établir pendant son règne. 
On s'est donc rendues la fleur au fusil dans leur demeure, non seulement visitable mais faisant partie des attractions les plus plébiscitées par les guides. Un peu trop optimistes, peut-être, car devant, campaient des hordes de touristes attendant leur tour. 
La dame de l'accueil a bien tenté de nous décourager mais on a accepté une visite 1h plus tard, se disant qu'on trouverait bien un endroit où se poser en attendant.



Et quel endroit ! Les jardins de la villa sont la seule partie qu'on a le droit de photographier, sûrement pour aider à entretenir l'égo de ses habitants sacrés, les paons chouchous de Nicolae (ou leurs descendants.)

Pour loger depuis des décennies à un endroit aussi stratégique (coincés entre un bâtiment de l'ONU et l'ambassade du Koweit) ils en savent long. Genre ils ont passé l'aprèm à nous hurler le nom du nouveau pape alors que le précédent n'était pas encore mort.
Coïncidence ? Je ne crois pas. 





On aurait aimé partager l'intérieur à la fois kitsch et extravagant, des fourrures de madame, aux dons des différents hommes forts de l'époque (Charlie from the Gaulle a balancé des fonds de tiroir, en mode tapisseries moches et vieux biscuits, l'honneur est sauf.) mais comme je l'ai déjà dit : c'était interdit. Et décidemment, les roumains ne savent pas ou refusent de faire du fric avec leur patrimoine, pas de cartes-postales (ou si peu) à la vente.

Exténuées, on a fini par rebrousser chemin vers le vieux centre, histoire de prendre un café full-diabète/une tisane/un apéro. En mode 1 salle, 3 ambiances. 


Nous sommes ensuite reparties dans des rues déjà traversées mille fois (chiffre véridique) avec VâVâ mais que Dealul découvrait. Périple lors duquel nous avons pu lui servir de guide, et où VâVâ a eu le privilège de partager son coup de cœur international de la vie for ever (hormis les chats et nos ascenseurs d'amour) : 
le siège de l'association des architectes roumains.



[Ils ont désossé une vieille demeure pour y construire un immeuble flambant neuf, dedans.]








Et le soir, nous nous sommes posées dans le plus ancien et typique restau de Bucarest, le Hanul Lui Manuc, qui se trouve dans la rue de France (onéchénou) et aussi au pied de l'appart' qu'on occupait. Un dîner en terrasse dans le calme et la volupté à peine interrompu par le cri des chats quémandant du poulet à la seule carnivore de notre trio (VâVâ)(oui, je balance)(au cas où un jour les poulets prennent le contrôle de l'humanité) jusqu'à ce qu'un orchestre du cru se mette à tonitruer et qu'on regagne nos pénates, se demandant si on allait réussir à dormir entre leur boucan et la St Antoine, célébrée depuis le matin, pendant toute la journée et dont les fidèles faisaient encore la queue tard le soir pour accéder au lieu de culte. 




Or, certes, on était en vacances mais le lendemain, on allait devoir se réveiller aux aurores histoire d'attraper notre bus pour les Carpathes. Je ne m'étais plus réveillée à 6h du matin depuis le lycée. Alors, croyez-moi qu'accablée par l'hypersomnie, j'aurais jamais juré remettre mon alarme aussi tôt, surtout le jour de mon anniversaire... 

mercredi 7 mai 2025

[Bacșiș 5] Back in the U.S.S.R


La tension était donc à son comble : arrivera, arrivera pas ? 

Et si oui quand, et dans quel état ? Avait-elle réussi à trouver de la nourriture végétarienne ? Avait-elle suivi un chien enragé à travers la Valachie ? S'était-elle faite enlever par un ou une vampire en quête de sang frais ?

Bref, spoiler : Rat-des-champs, que nous appellerons désormais Dealul - ce qui n'a aucun lien avec son activité professionnelle, même si... - allait finir par nous rejoindre dans l'après-midi.

Pour occuper VâVâ jusqu'à ce moment-là (car à partir du moment où elle avait terminé son feed Tumblr, elle avait du temps de cerveau disponible), j'ai décidé de la trainer dans un musée dont je m'attendais à ce qu'il soit un énorme attrape-touriste mais qui avait la qualité, s'il en est, d'être ouvert un lundi, contrairement aux autres.

J'ai nommé le musée du communisme, au balcon duquel trône une silhouette de Nicolae Ceaușescu. C'est un tout petit musée interactif où on a le droit de manipuler tous les objets d'époque, d'ouvrir tous les tiroirs, de porter les vêtements et d'écouter des vieux disques. 

Là-bas, on a appris par exemple pourquoi les murs étaient si fins dans notre immeuble. Le parti comptait sur la surveillance entre voisins pour que tout le monde se tienne sage. A ce titre, il existait une ligne fixe pour deux appartements. Quand quelqu'un nous appelait, il pouvait tomber sur nous, ou l'appartement d'à côté, et si les gens voulaient écouter les conversations, ils n'avaient qu'à saisir le combiné. 












[C'est Françoise Hardy, croivez-moi sur parole]

On s'est aussi aventurées dans le musée du Petit Paris, reconstitution d'intérieurs d'époque qui vaut le détour et montre bien à quel point Bucarest était à la croisée du Moyen-Orient et de l'occident. 










L'arrivée de Dealul étant désormais imminente et celle-ci descendant d'une longue lignée d'ayatollah du "manger sain", nous en avons profité, avec VâVâ, pour aller bouffer un bon gros grec des familles.
Mais genre, dans un vrai resto de tradition grecque, avec la radio nationale à fond les ballons, enquillant nos olives de kalamata au son de ballades sirupeuse qui transpiraient le yaourt au miel.



On est allées ensuite s'avachir sur notre canap en attendant le retour de l'enfant prodigue - débattant de si oui ou non on allait lui révéler la présence d'un énorme-cafard-sa-mère croisé la veille au soir dans le salon où notre pote allait camper. 

Finalement, on s'est dit que ignorance is bliss et on a souri comme des jeunes communiantes en l'accueillant, lui présentant les chats du quartier et nos ascenseurs fétiches (Yorgu et Georg) animés comme il se doit d'un tempérament de l'est, fonctionnant à une fréquence aléatoire et d'une façon aléatoire. 

Une pause thé après, il était temps de repartir à l'assaut de la ville, à commencer par l'église du monastère de Stavropoleos 




Placée sous la protection des archanges, elle semble avoir échappé au chaos du temps qui passe et du monde qui l'entoure. Magnifiquement préservée, c'était sans doute le lieu le plus éblouissant de ce début de séjour.  



J'étais contente d'avoir trouvé un truc joli à faire histoire de manier la chèvre (VâVâ) et le chou (Dealul) ; deux humaines que séparent, on peut le dire, une sorte de fosse des Mariannes d'enthousiasme. 

La première et son flegme légendaire, ainsi que son franc-parler aiguisé, qui n'hésite pas à dire "c'est moche, cette merde." et la seconde, avec son énergie débordante et son sourire à toutes épreuves, capable de se téléporter instantanément au moindre signe de conflit. 

Sans parler de moi, la neurasthénique monomaniaque détraquée et control freak, qui a besoin que TOUT LE MONDE SOIT HEUREUX PUTAIN C'EST TROP DEMANDER ? 

Maintenant que tout le monde était là, que la première sortie était un succès, et que l'on se baladait dans un grand parc, allait m'arriver en pleine gueule ma prochaine crise d'anxiété : "qu'est-ce que fout ma cat-sitteuse ? Mes chats sont-ils décédés et déjà momifiés, sans croquettes ni eau depuis 2 jours ?"

Partie ainsi loin dans ma tête, entre culpabilité et angoisse, je n'ai donc pas suivi grand-chose de ce qui s'est dit.

Une fois attablée dans une taverne, à manger des légumes (Dealul était arrivée, fin de la récré), j'ai noyé mon seum dans un vin local qui piquait, exposant mon plan pour notre journée du lendemain, la première que nous passerions toutes les trois où s'annonçait à la fois un soleil radieux et une inconnue au niveau de ma psyché : comment allais-je vivre cette veille d'anniversaire ?