mercredi 28 janvier 2015

[Diex Aïe - Part X] Seeing life through the keyhole


 
[To keep away from the black hole /
In my heart there's plenty of room /
For everyone to kill the gloom]

La "Normandie" s'est arrêtée pour moi peu après. 
Il y a eu quelques péripéties (dont une glorieuse menace de mise à la porte du lycée trois semaines avant le bac \o/) puis un sas de décompression de deux ans au Havre, mais, dans l'ensemble, la porte était claquée.

Bien sûr, il y a eu des bons moments. Des moments d'autant plus mémorables qu'ils étaient ponctuels.
Ma première rencontre avec Carl B., c'était en Normandie. 
Mon gros chat tigré, d'autant plus irremplaçable maintenant que j'ai adopté Satan, c'était en Normandie.
Mémé et Pépé, réduits en poussière, flottent dans la Seine. C'est pratique. Je la vois depuis Paris.

Le reste, d'après mes seize ans, est documenté ici et là sur Internet, j'ai mis des verrous, parfois, mais des réponses sont disponibles pour ceux qui les chercheraient.

A l'heure du bilan, je m'aperçois que je n'ai pas vraiment eu de chance dans tout ce qui relevait de l'imprévisible, mais le reste, je l'ai pris à bras le corps.
Tout ce sur quoi j'avais de la maîtrise, je l'ai bravé au mieux.

J'ai atteint le but d'une petite Johnson de 16 ans, roulée en boule contre le comptoir de la cuisine de ses cousins, à San Diego, qui pleurait parce que ses parents menaçaient de ne pas financer ses études (quand bien même ils l'empêchaient d'être boursière...) - je suis entrée à la Sorbonne.

J'ai emménagé à Paris.
Je suis devenue éditrice.
J'ai embrassé des garçons.
J'ai adopté mon propre chat.
J'ai vu les Libertines en concert.
J'ai trouvé une grande blonde qui semble me comprendre, vraiment, beaucoup et souvent.
J'ai voyagé, beaucoup. Je suis allée à New York. (Bon, on sait tous dans quelles circonstances, mais ça compte quand même).
Il ne me reste pas grand-chose à accomplir.

En fait, il reste une seule chose.

Celle après laquelle j'ai couru toute ma vie.

Je n'ai aucune prise sur l'amour, ou le fait d'être aimée un jour.
Je sais juste qu'à chaque fois que j'ai été stable, en harmonie avec moi-même et ouverte aux autres, je me suis pris des roustes plus abrasives que toutes celles administrées par mes deux parents réunis.
Ca m'a jamais empêché de me relever, même si ça a considérablement ralenti ma course en avant.

Je trouve ça dommage, d'en être arrivée là, d'avoir tout surmonté, et de ne rien trouver.
Ni satisfaction, ni fierté.

Le bilan de cette petite vie, ma vie, c'est un sur-place déguisé en mouvement perpétuel.
J'en suis au même point, là est la vérité.
Je m'en aperçois, maintenant.

Je survis grâce aux amis qui veulent bien m'accompagner un temps, grâce au semblant de famille que je me suis reconstituée from scratch. Grâce à la musique.
Comme quand j'avais 14, 15, 16 ans.

J'ai cru que je deviendrai aimable en devenant intéressante, accomplie, cultivée et drôle et pleine de ressources en matière de rockstars, de cimetières et d'histoires rocambolesques.
Je n'ai jamais cherché qu'une chose, comme on court après un appât.
J'ai dépensé beaucoup d'énergie, presque toute mon énergie.

Je pensais qu'un jour tout cela serait récompensé, forcément, par ce que je voulais le plus, au fond.

Mais je me suis trompée : il n'y a rien que je pourrai changer, ajouter, empiler à ce que je suis déjà.
Rien n'y fait, rien n'y fera.
Tout n'est que divertissement.

dimanche 25 janvier 2015

[Diex Aïe - Part IX] Some say I’m not here at all



[I’ve been searching for a heart of gold]

Spoiler alert: Je me suis ratée. 

Bahoui.

Et en même temps, ça a réglé pas mal de mes problèmes.

Dans la voiture, alors que ma mère me ramenait chez eux, elle m'a balancé toutes les mesures d'austérité qui allaient jalonner ma vie dès à présent. Plus de sorties seule, plus jamais sans surveillance, devoir répondre dès qu'elle m'appellerait (montrer "signe de vie")... 

J'ai regardé le paysage "Si ça peut te rassurer..." je lui ai dit très calmement "Ca tiendra jamais, sur la durée, vous ne serez jamais... sûrs."

Je les tenais enfin. 
Leur trouille était immense. Sûrement sincère, quelque part, mais aussi bien consciente qu'un jour je me réussisse et qu'on voit à quel point ils avaient merdé. 
J'avais désormais un sacré levier de négociation. 

Personne n'a compris, bien sûr. Car personne ne m'a jamais prise au sérieux. J'étais la petite dernière qui n'avait pas à se plaindre, qui avait toujours tout eu, et les gens pensaient imbécilement que j'avais eu de l'amour aussi.
Non. Ce concept m'a toujours échappé. 

Je n'arrive pas à me souvenir de la réaction de Mémé. Je crois que je l'ai occultée. Je crois qu'on ne lui peut-être même jamais dit. 

Quand je suis retournée au lycée, enfin, j'étais entourée. 
De silence.
Pas de moqueries, pas de piques. Juste un épais et confortable silence. 

Des murmures oui et des regards en coin, et des esquisses de "Johnson, je suis dé..." que je ne laissais pas s'achever.

Il y avait une force de la nature dans ma classe de première. Une fille que je respectais infiniment, et qui se trouvait avoir des formations de secouriste à la pelle. Elle a aussitôt vu la trace de la perf. 
Elle m'a gueulé dessus comme sur du poisson pourri. Je crois que j'en avais besoin. J'ai rigolé et puis j'ai pleuré. C'est sorti. 
Il faisait un soleil de tous les diables. 
J'ai gardé la trace du pansement sur ma main pendant des années, parce que la peau tout autour était brûlée. 

J'étais invincible. Muette et sereine. Je recevais les plus proches et leurs interrogations comme un prophète qui sait tout. Qui sait plus loin.
Et qu'est-ce que ça fait ? Et comment on se sent ?
Tout ça est venu bien tard.

Car c'est toute seule que je me suis réveillée aux urgences.
Toute seule que j'ai roulé des yeux en me disant "...et merde.". J'ai eu un bref espoir d'être dans un état critique, puis j'ai bien vu que non. Je pouvais me redresser, pas de trucs pour vérifier les battements de mon cœur. Juste cette foutue perf qui me tiraillait la peau de la main. 

De l'autre côté du rideau, une autre suicidée, une autre ratée, chouinait. Moi non.
Moi j'avais un putain de mal à l'estomac (le lavage), aux joues (les claques du pompier dans l'ambulance), au dos (mon père qui m'a traînée dans les escaliers). 
Et à la main, piquée. 

Ma voisine recevait des visiteurs qui n'avaient pas un regard pour moi, pas une parole. Des désespérés. Ses parents. Son copain. 
Moi, ...

Moi, et bien, y avait personne.

Ca m'a même pas étonné. Et c'est ça qui m'a fait le plus mal : de ne pas être étonnée que personne se soit donné la peine de rester, pour éviter que je sois seule au réveil. 

L'infirmière-de-ma-vie a dû s'y coller. Elle m'a écoutée, aimée, compassionnée, comme jamais je ne l'avais été dans toute une vie. 
Je ne connaîtrai jamais son nom. Son service était terminé après ça. Mais elle m'a déperfusée. 
Elle a fait le boulot d'un mère. 
C'était bien de voir que ça aurait dû être, même pendant un court moment.
Je ne l'oublierai jamais. 

Elle m'avait repêchée alors que j'errais dans les couloirs du C.H.U, en blouse d'hosto, nageant dans la gênance que le premier mec à m'avoir déshabillée soit un inconnu qui venait de me gifler. Je tenais la perf du bout du bras, comme une lanterne. J'ai fini par trouver les toilettes et m'y enfermer un moment, pour faire le point. Me demandant si je pouvais me barrer et n'avoir rien à affronter le lendemain. Et puis la vue de mon sang sur le carrelage m'a fait revenir bien sagement à ma chambre.
La perf me charcutait. 

Un clodo m'a demandé pour la troisième fois un stylo, alors même que j'étais aussi nue que lui. 

J'ai compris, cette nuit là, qu'il n'y avait jamais rien à attendre des gens, mais que je ne pourrai jamais non plus ne rien attendre tout à fait. Que mon petit cœur qui s'était accroché hurlerait toujours "Surprenez-moi !" "Prove me wrong!".

J'avais survécu. C'était pas étonnant, ça aussi je l'avais raté, mais maintenant, au moins, plus personne ne pouvait faire l'autruche.
Ca a parlé. Ca a parlé moyen, et pas longtemps, et comme chez Ces gens-là. 
Ca n'a rien arrangé, sur le long terme, mais j'ai eu quelques instants de paix de l'esprit. 

Ma plus grande erreur aurait été de ne pas le faire.
De me taire, et de me tuer plus sûrement encore. De disparaître de l'intérieur. De me compromettre.

Je me suis dit qu'il n'y avait plus si longtemps à tenir. Une année à tirer, mais une année d'aînée régnant sur le lycée, et ensuite, la gloire, les garçons sûrement (enfin !), Paris... La vie.

Mais, spoiler alert: personne ne m'a jamais surprise. 

And nobody ever proved me wrong.

mercredi 21 janvier 2015

Riptide


Bien sûr que non je vous dirai rien.
Bien sûr que non je dirai rien.

C'est un peu comme si on m'avait prise par surprise pour le test universel.

"Hey Johnson ? T'as toujours tout dit, mais là tu dis rien, hein ?"

Oui. Non. Là, sûr de sûr, je dirai rien. Même à mon pire ennemi, je dirai rien.
Parce que non.
Non.

Je refuse que ça existe.

J'aurais aimé être de ces âmes qui peuvent se reposer dans les bras d'autres.
Mais t'as pas voulu de moi.
Je regardais vers le haut, tes traits plus que parfaits,et j'osais, sans un souffle, espérer.
Ptet que j'aurais mieux tenu.
Ptet que non.

Voilà. Je suis seule sur un quai. Seule sur un métro.

Peut-être que j'étais faite pour ça : digérer ce que les autres ne peuvent pas assimiler.
Etre le pilier.

J'ai jamais espéré de pas être seule. Parce que c'était clair. J'étais faite pour ça.

Mais des bras peuvent faire douter.
Peuvent faire penser, pour un instant. Pour un instant seulement... Qu'on est fait pour plus.

Que peut-être, oui, peut-être qu'on s'est trompé toute sa vie. Et peut-être que t'es là pour rectifier le tir ?

Ah ? non ? Au temps pour moi.

C'est que je voyais les autres tourner et valser et s'aimer et que j'ai cru que peut-être. Non mais...

Non mais... c'est moi.

J'aime pas quand les autres présument, j'aurais jamais dû présumer.

J'étais bien, moi, là. J'ai rarement été bien. Mais dans tes bras, à ce moment là, oui, j'étais bien.

C'est pas rien. C'est pas beaucoup, mais c'est pas rien.

Je n'ai jamais servi à grand chose d'autre que faire prendre conscience aux gens ce dont ils avaient vraiment envie.

Je n'ai jamais mérité rien d'autre que des hochements de tête lointains.
Et même ceux-là, je ne les ai pas.

Le ciel est noir, je n'ose confronter le nombre d'étoiles qu'il daigne m'offrir.
Je sais que je vais blesser des gens en quittant tout ça.

Mais est-ce bien raisonnable de vouloir me garder ici quand je ne suis rien pour personne ?

lundi 19 janvier 2015

[Diex Aïe - Part VIII] It's better to stay away



[ From games you don't know how to play / 
And when you notice it's too late anyway / 
Cause they change the rules day after day. ]


Je ne peux toujours pas trop parler de lui. J'avais 15 ans. Ca m'a poursuivi jusqu'à mes 17. 

Ce que je sais, c'est que tout ce qui le touchait était extrêmement grave. 

Je prends la vie à 100 000% de ce qu'elle devrait me faire ressentir, à cause de mon hypersensibilité maladive et de mon système nerveux poreux, et lui c'était un multiplicateur infini. 
C'était dur de vivre ça. De tourner comme un lion en cage avec cette certitude complètement fausse, que je n'étais à la hauteur de personne. ("Fausse", je l'ai compris après 8 ans, tout de même, mais après l'avoir entendu de toutes part pendant 4 ans, même le plus robuste des entêtements cède).

J'avais la sensation, du haut de mes quinze petits printemps, que plus rien ne pourrait m'arriver de ce côté de ma vie. J'avais fait le deuil d'avoir des relations viables, un jour, avec quiconque.

J'avais un groupe de potes oui, mais on était plus dans la dictature et l'habitude qu'autre chose. La classe de seconde est un état transitoire : bientôt la première allait nous propulser aux quatre coins du lycée, voire du département, et j'allais de nouveau (sur)nager seule.

Du coup, je me suis rabattue sur une idole. Un chanteur qui semblait comprendre tout ce qui m'arrivait mieux que moi. J'ai tout mis dans ma "relation" avec lui. Dès que j'ai eu internet à la maison, j'ai créé une petite communauté le concernant, et j'ai enfin trouvé des gens qui me ressemblaient. Ca a été le début de beaucoup de choses. 

Et puis, et puis. Et puis... Et puis il y a un vendredi soir où tu rentres, mais 5 minutes à peine, le temps de prendre tes affaires de dessin et où on t'interrompt. Pour te dire un truc vachement grave en plus. 
Ca se fait vraiment pas, ce genre de choses.

C'était beaucoup trop compliqué, tout, pour que ça arrive maintenant.

Je suis retournée dans ma unhappy place. Je me suis beaucoup tue.
Sauf quand cette connasse de prof d'Allemand a insisté pour que je lui dise pourquoi j'avais été absente à deux de ses cours. 

"Raison familiale, c'est écrit là."
"Non mais ça veut rien dire ça."
"Bah c'est ma justif, ça a été validé."
"Il va falloir m'en dire un peu plus si tu veux que je te note présente."
La classe s'impatientait derrière, mais tendait l'oreille en même temps.
"Je... J'ai..."
"OUI ?"

"Mon grand-père est mort."

Je l'ai dit assez fort pour que tout le monde cesse de spéculer. Pour que la prof se prenne une bouffée de culpabilité d'avoir voulu fouiner dans mon caca.
"Ah oui. Ah bien. Désolée, du coup."
"Du coup, je vais m'asseoir hein, du coup."
"Oui, du coup, oui."

Johnson a eu dès lors un regard très noir. Des yeux très méchants. Des sourcils très froncés. Mais ça n'était plus occasionnel. Ca a été tout le temps. Tout le temps. Tout le temps.

La rage et le feu et pas grand-chose d'autre. Tout était révolte. 
Me réveiller à 6h30 parce que le ramassage scolaire passait en premier par chez nous. Arriver trop tôt, devant des portes closes. Se geler. Chopper maladies sur maladies parce qu'on dort jamais assez, quand on se lève à 6h30 du matin et que ce putain de ramassage scolaire nous ramène qu'à 19h. 

Mes parents se sont obstinés sur la règle du "couchée à 21h, extinction des feux à 21h30" pendant mon année de seconde et ont vite compris que rentrer du lycée, manger et faire mes devoirs me transformaient un peu plus en monstre chaque jour.
Du coup, à partir du moment où je suis devenue bad Johnson, avec son coeur en berne dont personne ne voudra, avec son corps qui change plus vite que la musique, avec ses amis qui se barrent aussi vite qu'ils sont arrivés, avec son roc qui venait de se faire crématiser et éparpillé dans la Seine - ébranlant par là même une Mémé devenue encore plus muette, depuis ce moment, oui, mes parents ont commencé à me ficher la paix. 
A partir du moment où je la fermais, où je me faisais oublier, ils ont commencé à arrêter de me chercher des noises. 

J'ai squatté une autre chambre que la mienne, sans trop leur demander leur avis. Celle où il y avait Internet, et j'ai vécu là. Mes vêtements, mes cheveux, mon rare maquillage devenant tous les jours plus sombres, alors que le sommeil me quittait totalement.
Tandis que je décortiquais le plafond, à tout moment je pouvais exploser. Non : imploser.

J'étais en première. Il est mort. Je n'ai plus dormi. Et...

Un soir tout a été réuni. 

Les somnifères prescrits pour mes sévères troubles du sommeil.
La vodka qui lambinait dans le frigo familial. 
L'humiliation publique, dans le bus qui me ramenait épuisée d'une journée de combat contre tout et tout le monde. Une journée de plus.
L'humiliation publique comme avant, mais cette fois...
C'était devant lui. 

Et il a ri.

Il a ri.

Alors, ivre de sanglots, je me suis traînée jusque ma maison. Sans trop comprendre que j'étais blessée mortellement. Je me suis arrêtée sur la tombe de mon vieux chat. J'ai vacillé. Le cul dans l'herbe j'ai pleuré sans respirer. J'étais abattue. Finie. Transpercée de part en part par la vie. 
Il ne me restait plus rien. 
Enfin...

Enfin si. Sûrement que là, ma mère allait comprendre. Sûrement que là, quelqu'un allait se dire "c'en est trop" "une personne ne peut pas en supporter autant" "viens là, on va tout arranger.".

Alors je me suis remise debout, sans grâce. J'ai traîné mon sac trop lourd et mes jambes jusqu'à la maison. Ma main a finalement maîtrisé ses tremblements, assez, en tout cas, pour que je vienne à bout de la serrure. Dedans, un vacarme assourdissant. Ma mère gueulait contre mon père, le chat et ses casseroles. Oui, les trois en même temps. Et par-dessus ça, mon père répliquait, le chat répliquait et les casseroles aussi. Oui, les casseroles aussi. Et le téléphone sonnait. 
Ca je ne pourrai jamais l'oublier. 
Je suis passée devant. Parce que j'étais pleine de tout un tas de liquides se déversant de tous un tas d'orifices de mon visage. Parce que même si j'avais pu soulever le téléphone, j'aurais pas pu parler.
Parce que je voulais pas qu'ils décrochent, je voulais qu'ils me voient.

Je suis arrivée devant ma mère, finalement, après au moins 8 mètres qui ont paru une éternité. 
J'ai découvert encore plus de bruit et de fureur. J'étais au milieu du chat, de l'engueulade et des casseroles. Avec ma morve, mes pleurs et sans téléphone à la main. 
Je suis allée sur le balcon. Essayer de me faire remarquer comme ça. De montrer à ma façon que ça n'allait mais alors vraiment vraiment vraiment pas.
Oui mais voilà.
J'étais coupable du crime suprême. Je n'avais pas décroché le téléphone, et maintenant c'était trop tard. 
Et qu'allaient penser les gens, au bout du fil ? 
Et si c'était important ?
Je ne servais vraiment à rien, selon ma mère. A part être dans le chemin.
Oui.
Elle se doutait de quelque chose, car depuis quelques temps, je n'avais plus le droit de prendre mes somnifères moi-même. Elle les cachait et me les donnait. Mais je savais parfaitement où.

Alors, quand elle est retournée dans la cuisine, il faisait jour, et joli avec ça. La nuit ne tombait pas. C'était un printemps à température confortable. Un joli printemps. Quand elle est retournée dans la cuisine je l'ai suivie. Me reprenant des averses de foudre. J'ai caressé la tête du chat.

Pour lui dire au revoir.

Je ne pouvais pas faire mieux.

A travers le voile de mes larmes, j'ai pris les médicaments, pendant que ma mère composait le 31 31 pour savoir qui l'avait appelé. Qui je lui avais fait manquer. Puis elle est revenue m'insulter. Me couvrir d'autre chose que ce que j'avais osé espérer. Alors, sous ses yeux. J'ai ouvert le frigo.
Je n'avais pas le droit de me servir seule. De manger plus que ce qu'elle m'allouait. Mais j'ai quand même ouvert le frigo.
J'ai sorti la bouteille d'eau pour faire diversion et j'ai chopé la mignonette de vodka. Aussi vite glissée dans ma poche.

Et puis je suis montée dans la salle de bain. Je me suis enfermée.
J'ai regardé mon reflet.
J'ai décidé à l'unanimité que tout cela n'était pas rattrapable. Qu'à la limite si on était dans une partie de jeu vidéo, je recommencerais tout à zéro. Mais c'était pas le cas.
Alors j'ai haussé les épaules, j'ai sangloté/soupiré et je me suis éloignée.
Sur la commode blanche, j'ai pris les pilules une à une, puis deux par deux, entrecoupées de vodka. 

La salle de bain, c'est le seul endroit qui fermait à clefs. Du coup, même s'ils se doutaient d'un truc, ils l'auraient tous dans le cul. Ils me trouveraient qu'après avoir sacrifié leur porte. Et je pense pas qu'ils auraient sacrifié leur porte avant un siècle au moins.

Après avoir vidé la plaquette, je me suis sentie un peu conne. 
Pas de ce que je venais de faire, non, pas du tout même, c'était à peu près la seule chose dont j'étais vraiment sûre, mais conne d'en être réduite à attendre.
Et maintenant ?
Et si ça marchait pas ?
Et si on m'avait filé des placebo ? 
J'ai avalé encore de la vodka, pour être sûre. 

Et maintenant ? Putain c'était long. Putain que c'était long. 
Je me suis regardée devant l'autre miroir. Le rond. Et j'ai souri. J'avais enfin eu le courage de le faire.
Ca y était.
C'était peut-être pour ça que ça mettait du temps. C'était pour que j'ai tout le loisir de profiter d'avoir agi, pour une fois dans ma vie. De ne pas m'être laissée faire. 

J'étais contente. Apaisée. Je me détendais.
J'avais absolument aucune conscience que c'était, en fait, les médicaments qui me rendaient heureuse. 

Puis j'ai refroncé les sourcils : mais ? Et un mot d'adieu ? Pour leur dire que même si on les réconfortait en leur jurant que c'était pas leur faute, si si, ça l'était ? Parce que merde. Faudrait pas mettre ça habilement sur le dos des jeux vidéos, des internets ou que sais-je ? Et puis y avait quand même mon ami d'enfance, que j'aimais beaucoup et à qui je voulais tout léguer. Même s'il m'avait encore plus souvent abandonnée que tout le monde, il avait le mérite d'être toujours revenu, lui. Enfin, 99% des fois quand je lui demandais, mais il acceptait. Il acceptait ma présence dans sa vie cool, alors je pouvais bien lui léguer ma gameboy.

Alors je suis retournée dans ma chambre. J'ai réussi, après de gros gros efforts qui me rendaient euphorique - ayé, enfin, ça faisait effet ! - à trouver papier et crayon. Je crois même que c'était un crayon tout nul, mais j'avais pas - plus - la force d'en chercher un autre. J'ai scribouillé ça. Je me suis amusée du fait que je dépassais de plus en plus, que ça voulait plus rien dire. J'ai fini par inscrire seulement des mots clefs. Oh le poster de Buffy en 5D ! C'est trop cool. Je savais pas qu'il y avait une cinquième dimension ! Merde. Je suis plus dans la salle de bain. Du coup je suis pas enfermée à clef. Merde. Merde. J'arrive plus à me lever. Si je m'effondre là, ils vont me trouver. Non non non... Pourquoi il faut toujours que je foire tout ?

Et puis la nuit.