Ca casse les couilles franchement.
De prendre toujours les "bonnes" décisions, je veux dire.
De pas se vautrer dans la torpeur d'un corps chaud en se disant "rien à foutre qu'il me respecte pas, je suis trop bien là" parce qu'on sait que c'est mal.
De pas se lancer dans un truc qui pourrait être formidable parce que le mec est déjà pris, et que c'est mal.
De pas rappeler son dernier plan cul, même si c'est le printemps et que c'était plutôt sympa avec lui en fait, parce que c'est MAL.
Ca casse les couilles de voter dans le seul but de mettre une branlée au FN.
Ca fait grave chier d'aller chez cette psy qui a tellement de dossiers qu'elle pense que je suis prof et en thérapie depuis 8 ans.
C'est comme la vulgarité, franchement ça me troue le cul.
Si j'avais fait tous les mauvais choix, j'aurais un mec, des best sellers putassiers, des copines pour combler tous les soirs de ma semaine – et sûrement une condamnation pour meurtre sur le dos, mais c'est une autre histoire.
Si je me concentre assez fort, je peux retourner à ce moment très précis du mois d'août, cette année-là.
J'étais allongée sur un tapis douteux, sous une tente gigantesque, entourée de gens stone ou en tout cas léthargiques. Les 40° degrés de la canicule Budapestoise me plaquaient fermement au sol comme une couverture de plomb. Les basses lointaines me rappelaient pourquoi j'étais là.
Il y a eu un avant et un après ce moment suspendu.
Tout a changé pour moi cet été-là.
Celui où je me suis lâchée. Où j'ai arrêté d'être mon propre ennemi.
Bien sûr, j'étais loin de me douter ce qui allait m'arriver en rentrant. Le sort allait m'aider à mettre à bas l'esquisse d'édifice que la moi d'avant avait construit avec méticulosité.
Je ne sais pas trop pourquoi j'ai de l'ambition et de quand elle date.
Je n'ai jamais voulu réussir pour en mettre plein les yeux des autres, déjà j'ai peu "d'autres" qui me suivent assez longtemps pour voir une quelconque progression dans ma vie et puis le reste s'en foutent assez pour devenir des amis proches, qui ne s'arrêtent pas à des "détails" comme, par exemple... un statut social.
Le fait est qu'il y a trois ans, j'ai atteint en théorie ce que je pensais être mon but ultime.
Je pensais dédier ma vie à mon travail, dédier ma carrière à devenir éditrice in charge et dédier mon poste d'éditrice à faire des livres sincères qui pourraient peut-être aider un ado ou deux en tombant dans leurs mains.
Léguer à des inconnus ce que j'aurais aimé recevoir, à leur place. Leur éviter tout un tas d'embûches, pour pas les avoir vécues pour rien.
Alors voilà. Je suis à ça de mon 29ème anniversaire. Trop vieille pour être une rockstar morte, trop jeune pour être un vieux sage respecté.
Trop seule pour être épanouie, trop accompagnée pour être désespérée.
Trop quelconque pour que tout me tombe tout cuit dans la bouche.
Trop singulière pour que ma vie soit facile.
Trop anxieuse pour notre monde moderne. Trop visionnaire pour le présent.
J'ai fait un mauvais calcul. J'ai sûrement pas assez cru en ma réussite. Tout le monde a passé son temps à me répéter qu'il fallait revoir mes ambitions à la baisse et pourtant, voilà, j'ai réussi.
C'est censé être bien. Positif. Réussir.
Mais non.
Faire de ma passion mon métier a éteint en moi la flamme qui m'animait : lire et écrire.
Je ne fais plus jamais ça pour le plaisir.
Alors qu'est-ce que je fais, moi qui n'ai jamais eu d'autre passion ?
Je regarde dans le vide, je bois et je drague. Suivant l'énergie à ma disposition.
Ce sont des passe-temps qui vont s'éteindre aussi vite que ma jeunesse.
Je réfléchis à quoi faire à la prochaine étape. Quel but me donner. Dans quoi engouffrer ma force d'action ? Ma détermination ?
Je n'ai envie de rien - de personne.
J'ai envie qu'on me foute la paix et de ne sortir que pour voir de jolies choses, qui le méritent vraiment.
Ca tombe bien, c'est le printemps.
Alors oui, dans 6 mois, je serai maraîchère ou étudiante, défenseur des animaux ou vendue dans une société du CAC40. Au ministère de la culture ou bien morte. Qu'est-ce que j'en sais ?
Personne n'est trop inspiré quand je leur pose la question. C'est ça, de s'être toujours définie par sa profession. C'est ça la monomanie faite Johnson.
Pourtant, plus que jamais, j'aurais terriblement besoin qu'on me dise qui je suis.
Je vous ai menti. Je vous ai dit que j'étais partie en solo dans cette traversée de la Manche en Eurostar, mais en fait, une nouvelle amie prénommée Doris m'a grave entourée pendant tout mon séjour.
Doris, c'est une tempête lambda qui s'est transformée en harpie : "Storm
Doris underwent explosive cyclogenesis labelling it a weather bomb." (c'est la météo officielle du UK qui le dit pas moi). Les rafales sont allées jusqu'à 150km/h, j'avais pas vécu ça depuis l'hiver 99.
Et, si vous connaissez Crazy Ex Girlfriend, vous l'aurez sans doute deviné, j'ai eu cette chanson dans la tête pendant 3 jours :
[Si vous ne regardez pas cette série, c'est que vous avez sans doute accepté de passer à côté du bonheur dans votre vie, et c'est votre choix et je le respecte, mais je vous juge quand même un peu.]
En ce matin du 23 février, j'ai commencé par presque mourir. Alors oui, j'ai un deathwish et je suis très très sensible à l'appel du vide et dépressive et tout ce que vous voulez, mais ça ne m'expliquera jamais pourquoi je suis restée comme deux ronds de flan, sous un arbre vacillant en me disant "il fait un drôle de bruit, mais c'est joliiii".
2 minutes après, une branche d'un fort beau gabarit tombait à 15 centimètres de mon épaule gauche et j'ai eu un rire nerveux assez vrombissant fort heureusement couvert par une autre rafale de ma pote Doris.
Je me suis remise en route pour aller visiter la maison de Charles Dickens, héros de la nation, l'équivalent de notre Zola. Gamin, son père a été jeté en prison pour dette (ce qui a inspiré La Petite Dorrit) ce qui l'a obligé à travailler à 10 ans dans une usine. Cet épisode ne sera connu du grand public que 2 ans après sa mort. Adoubé par Victoria, par la critique et par le grand public, il est mort dans le luxe tout en se battant pour le droit d'auteur (notamment aux US, qui, à l'époque, traduisaient les oeuvres sans rien reverser à l'écrivain). Bref, un bonhomme très intéressant, à la vie pas forcément facile (il a eu une trouzaine d'enfants, mais la moitié sont morts très jeunes, rendant dépressive sa femme dont il se sépara, se fendant d'une lettre publique pour en informer les anglais).
Cela m'a permis de visiter une demeure victorienne et d'avoir une bonne alternative à Downton Abbey question représentation de la vie quotidienne. Je vous avoue que quand j'ai lu que les enfants étaient gardés au grenier, avec le personnel de maison, et qu'ils ne devaient ni être vus ni être entendus, j'ai éclaté d'un rire sardonique.
[A l'époque les cuisines étaient équipées de hérissons qui combattaient la vermine, et je trouve ça trop chouette]
[En vrai, quand ils devenaient ado, ils avaient des chambres, comme ici celle de la belle-sœur de Charles, morte à 17 ans. Son décès enclenchera une remise en question totale des valeurs de l'écrivain et donnera plus de profondeur à ses écrits]
Ce qui me rend Dickens particulièrement sympathique, c'est son choix original d'animal de compagnie. Il a recueilli un corbeau (mon rêve de petite fille) et lui a appris des tours, des imitations et quand il est mort, l'a fait empailler. C'est lui qui a inspiré The Raven d'Edgar Allan Poe.
C'était la dernière occasion que j'avais pour me ramener un souvenir et je me suis jetée sur un livre qui m'a paru une évidence dans la petite boutique du rez-de-chaussée.
Molly Maine Coon dite "Molly Pleine de Grâce" vous présente, en rechignant à peine, l'essai de Matthew Beaumont pré et post facé par Will "I wanna be you" Self sur les errances nocturnes dans Londres. ÉVIDENCE J’ÉCRIS TON NOM.
Après avoir enfourné mon livre souvenir dans ma valise et affronté Doris une dernière fois, il était l'heure pour moi d'aller parcourir de bout en bout Her Majesty's Theater.
Pour 1) me faire fouiller moi et ma valise en entier (mais par un gentleman qui m'offrira le ticket pour le vestiaire pour le coup), 2) retirer mon billet en essayant de faire comprendre mon nom en anglais (c'est toujours une grande victoire pour moi et la personne au guichet quand on arrive enfin à me retrouver), 3) me refaire fouiller avant d'aller déposer la valise au vestiaire qui est dans les bas-fonds du théâtre, 4) remonter, ressortir (parce que j'ai une place de pauvre et qu'à Londres les pauvres entrent par une porte qui donne dehors), 5) me refaire fouiller à l'entrée des sans-le-sou, 6) monter 5 étages et 7) m'asseoir et respirer entre l'éclairagiste et le balcon le plus haut. Tout ça pour LUI :
Le Fantôme et moi avons une longue, longue, longue relation que j'ai mentionnée ici, ici et surtout ici. C'est tout à la fois une fascination littéraire, un coup de cœur musical et une figure rassurante (si) qui me sert d'alter ego dans les moments les plus sombres de ma vie. Non, je ne lui parle pas à voix haute mais oui, je le salue brièvement dès que je passe près de l'opéra Garnier.
Concernant la comédie musicale, ne vous fiez pas au film, assez raté. Prenez vos billets même si vous ne maîtrisez pas totalement l'anglais, c'est avant tout histoire d'ambiance, de décor et de lustres.
Si j'aime autant les comédies musicales, c'est qu'elles sont le piédestal des opprimés et des honnis. De la lie de la société propre sur elle qui fait bien gaffe aux apparences. Elphaba, Quasimodo, Valjean, Le Phantom, tous sont rejetés par la société. La plupart pour leur différence.
J'aime le fait que les gens se pressent depuis 30 ans pour assister à leurs histoires et que celles-ci puissent peut-être changer quelque chose à leurs actions. Je dis bien peut-être.
Qu'elles permettent aux gens "comme tout le monde" d'envisager d'une autre manière les gens "différents".
Le revoir était nécessaire après la frustration intense de la rentrée où je crapahutais dans les coulisses de Mogador pour ce qui aurait dû être un article pour Vampirisme.com et que je ressentais un bonheur intense pour la première fois depuis la mort de mon chat noir. J'ai rencontré l'orchestre, les habilleuses et même celui qui aurait dû être le Fantôme et paf le chien, incendie à Mogador.
Ce qui est toutefois logique, parce qu'on ne vient pas rire impunément au nez (enfin ce qu'il en reste) et à la barbe du Phantom à 2 rues de son habitat naturel.
Pour les connaisseurs il y a deux grandes écoles pour interpréter le Phantom, la première, en mode Joker psychopathe (à la Hugh Panaro, king of Broadway) et la seconde en mode "petite chose émouvante et aimant à pitié qui vous fait chialer votre race" (checkez par exemple la version avec John Owen-Jones)(je te vois couiner Mel G.) et puis il y a la version mitigée cochon d'inde assez géniale de Ramin Karimloo (qui a été figée pour l'éternité sur le DVD du concert du 25e anniversaire au Royal Albert Hall). Ben Forster, mon Phantom du jour, a choisi la première catégorie, et c'est assez rafraîchissant. Beaucoup de fans ont tendance à trouver toutes les excuses du monde à ce maniaque au nom du romantisme. Non, la société l'a rendu fou et il est désormais perdu pour toujours, laissez-le tranquille et surtout arrêtez d'entrer dans son délire : c'est pas en enlevant de jeunes jouvencelles et en les forçant à vivre dans une grotte humide qu'un exclu défiguré trouvera enfin l'amour, BORDEL.
J'aime le fantôme de tout mon petit cœur démoniaque, mais je ne lui souhaite pas ce genre de happy end pour autant.
Je suis allée récupérer ma valise le cœur battant. Prendre la Picadilly Line une dernière fois pour arriver dans un Saint Pancras déserté. Doris a fait annuler tous les trains sauf le mien, elle est sympa Doris. Bon, elle a tué une jeune fille de 29 ans de... Birmingham de la même façon que j'aurais pu mourir quelques heures plus tôt, mais après elle s'est calmée.
J'ai pris ce train me ramenant vers "la maison" en pensant que, décidément, home is where the feels are.
[Never do anything by halves if you want to get away with
it. Be outrageous. Go the whole hog. Make sure everything you do is so
completely crazy it’s unbelievable. - Matilda, Roald Dahl.]
Je me suis dirigée
vers Shaftsbury comme on va à un rendez-vous d'affaires. Depuis mon arrivée,
j'ai remarqué que les londoniens étaient plus maussades que d'habitude, plus
pressés, plus bousculés, plus le nez dans leurs smartphones - et pourtant je
suis parisienne. Je ne sais pas si c'est le Brexit ou la météo (on y reviendra,
vous dis-je !), mais ils étaient moins happy shiny que d'habitude. C'est pas
grave, je me suis d'autant plus fondue dans la masse.
C'était enfin l'heure des
Miz et de ses fauteuils super inconfortables et de son public insupportable,
mangeur de bonbons et incapables d'éteindre leurs portables. C'est moins
n'importe quoi qu'à Broadway mais putain dans un théâtre en France, je leur
donne pas 5 minutes avant d'être incendiés (littéralement). Assise à
côté d'une gamine qui n'en a rien à foutre et qui est là parce que môman
voulait se faire plaisir mais pas la faire garder, je me prends à rêver d'un
monde où je serai dictatrice et où j'imposerai des séances pop-corn free et
enfants-free dans tous les lieux culturels du monde.
Première surprise, c'est
un festival d'understudy (les doublures des rôles-titres) et moi, j'aime bien.
Parce que généralement t'as une énergie d'outsider déployée qui est pas
évidente quand tu vas voir un show en matinée. Bref, Adam Bayjou en Valjean
vaut vraiment le déplacement.
Comme je n'ai pas beaucoup de budget et que
Londres est quand même chère-sa-race, je me suis booké Matilda en soirée. Une
comédie musicale adaptée du livre de Roal Dahl qui raconte l'histoire d'une
petite fille honnie par sa famille parce que 1) elle est d'une précocité rare
et a lu toute la littérature anglaise à 5 ans et 2) ils auraient voulu un
garçon. Bon. Ai-je besoin de préciser que quand j'ai lu le roman pour la
première fois je me suis grave identifiée et j'attendais avec impatience que MA
Miss Honey/Mademoiselle Candy vienne me sauver de ma sordide ville de naissance
?
Vous allez me dire que je cherche la merde : je viens de décrier la présence
de gamins dans des spectacles à 60€ la place qui ruinent l'expérience avec
leurs gigotages, leurs interventions intempestives et leurs "Mooommy what
does 'newt' meaaans?" et je vais voir un musical destiné aux 6 ans et +
où se rendent masse de scolaires. Oui, je ne suis pas à une contradiction près.
Les critiques étaient tellement bonnes et l'occasion tellement rêvée que j'ai
quand même pris mes billets. Alors, clairement, c'est assez fantastique, mais
pas assez old school pour moi. Trop d'effets spéciaux un peu gratuits, trop de
divagations "juste pour rajouter des numéros de danse". Je pense qu'une
adaptation non-musicale aurait suffi. Maintenant, c'est ouf de voir une gamine
de 9 ans tenir la scène de bout en bout pendant 2h30 et rien que pour ça, c'est
à voir (même si, dans le même genre, autant opter pour Billy Elliott). J'ai
donc décidé de renouer avec l'enfant que j'étais et de m'offrir un
breakfast-for-dinner avec des Red Velvet Pancakes qui étaient à se damner.
En sortant de Matilda, je fuis la foule et tente de m'extirper de l'agitation du West End quand la voix de Marc lovelyone Bolan me stoppe. Elle vient d'un bar à cocktail où T-Rex est joué à fond les ballons (je crois qu'au UK ils ont définitivement pas les mêmes régulations en terme de décibels).
Petit moment suspendu avant que la nuit m'engouffre.
La nuit à Londres, il y a beaucoup de ruelles mal éclairées, mais je ne me suis jamais sentie menacée. Je ne me suis jamais perdue non plus, ce qui, quand on me connait, tient du miracle.
Je peux marcher des kilomètres la nuit, avec ma vision floue qui adoucit les rebords des choses. Il y a moins de gens, moins de bus géants, moins de bruit.
J'aime saluer le British Museum d'un hochement de la tête, comme un vieil ami immuable.
Mon wi-fi se connecte toujours automatiquement quand je passe devant lui, si ça c'est pas une preuve d'amitié...
Je rejoins ma chambre pour une dernière nuit, pas sans avoir goûté un Peppermint Tea qui m'a donné un tel coup de fouet que j'ai fini ma valise, une grande partie de mes lectures et de ma correspondance avant de me jeter épuisée dans la quête du sommeil.
Je sais que ma santé mentale n'aurait sans doute pas survécu à deux jours de plus, seule avec moi-même. Demain serait déjà le dernier jour, mais le soir, j'allais retrouver mon centre de gravité félin qui n'a de cesse de tenter de me convaincre que la vie c'est chouette et qu'il faut lui dire "Ooooouiiiii !!!" (J'ai le plus extraverti des chats, goddamnit).
Il me restait une journée à rendre extraordinaire lors de ce voyage. Et ç'allait être celle de Dickens, de rencontres fortuites douces-amères et de mes retrouvailles avec mon alter ego de toujours, mon bien-aimé Phantom. Stay tuned!