jeudi 26 juillet 2012

The Point of no return

Allongée sur la table de l'échographiste, je me concentre très fort pour ne pas remuer, pour ne pas faire de geste brusque ou pousser de petit cri.

20 minutes avant, à peine avais-je foutu les talons dans la salle d'attente que j'avais croisé son regard.

J'avais baissé les yeux, par réflexe. 
Blouse blanche. Franchement tanqué.
Mieux valait complétement tourner la tête. 

Je me suis présentée à l'accueil en priant pitié pitié pas le beau pas le beau pas le beau.

La litanie a continué tandis que, pour passer le temps, j'écrivais dans mon cahier de liaison avec Oscar Wilde. 

Et puis une femme a crié "JOHNSON !" et je me suis levée comme un seul homme. 

J'ai pensé : Yes ! Une femme, pas le beau !

Et me voilà, allongée sur la table du beau. Ils m'ont eu. C'était une secrétaire. Et c'est lui qui m'attendait derrière la porte. D'ailleurs il m'accueille avec un sourire en coin - ceux que je préfère. J'essaye de ne pas me focaliser sur ce qu'il est entrain de se dire.
Je m'allonge. Je prie Dieu, Bouddha et Bob l'éponge pour ne pas rougir, pour ne pas exploser, pour ne pas lui rouler une grosse pelle dire de connerie.

"Alors, racontez moi tout." euh... tout ? 
Je fais trois phrases. De ces phrases qu'on fait en s'entendant parler de l'intérieur. Comme si un étranger les prononçait. Comme lors d'une soutenance. D'un entretien d'embauche. Ou dans la dernière phase de la cuite, juste avant le point de rupture.

Je ne veux plus croiser ses yeux. Beer gooood boys baaaad.

Je vide ma tête. 

C'est donc un grand moment d'introspection, au propre comme au figuré, lui s'apprête à voir à travers moi et moi, je tente de faire pareil avec le plafond, couvert de tâches d'humidité qui, dans une telle situation, s'avèrent drôlement passionnantes. 

Je calme mon rythme cardiaque comme je le peux, surtout quand son bras se repose contre ma cuisse.

Il étale du gel sur mon ventre. 

Je pense à ma vie ces trois derniers mois. A tout ce qui m'a conduit ici et maintenant.

Je suis loin, loin, dans mon monde intérieur quand sa voix me parvient : "4 cm quand même !"

J'ai un sourire débile, mais seulement parce qu'il a commencé.

Il me montre l'écran, je ne discerne pas grand chose, on dirait un sismographe plutôt que l'intérieur de mon ventre mais, soit, s'il était témoin de Jéhovah ou qu'il voulait me vendre un abonnement à Sanglier Passion, je hocherais la tête en demandant "je signe où ?". 

Je me souviens des jolis docteurs de la salle de réveil, bien des années plus tôt. Je pense à Grey's Anatomy et aux Harlequin blancs de feu ma mamie. Je repense à tous les beaux garçons de ma vie et je réalise qu'ils n'étaient que jolis.

Il lève son bras, j'expire un bon coup, il a re son sourire en coin. 

"Voilà ce qu'on va faire..."

En boucle mon coeur, celui qui est un peu débile, matraque : beau beau beau BEAU beau beau beau BEAU. 

 J'ai 16 ans à nouveau. A un détail près.

Il commence à m'essuyer puis me laisse terminer. J'ai comme un moment de faiblesse. Je fuis littéralement. Mon pantalon et mes chaussures à la main. Je ne dis pas merci - parce que merde, hein, on dit pas merci pour ça.

Dans le sas, mon front se colle à la paroi du mur. Je rumine deux trois trucs en araméen, je crois. 

De retour dans la salle d'attente, c'est comme si la vieille en phase terminale n'avait jamais interrompu le récit de son cancer, et de sa rémission, et de sa rechute et de quel hosto était le meilleur et de ses chimio et ses 30kilos perdus en 4 mois. 

Le vieux à côté en est à son deuxième litre d'eau.
Je m'enfonce comme une kaïra dans mon fauteuil inconfortable. J'ai mal aux reins. Enfin non. J'ai appris la veille que les reins étaient vachement plus hauts que ce que je croyais.

Je fixe la reproduction d'un Jackson Pollock en attendant qu'une femme hurle "JOHNSON." et me soutire 80 euros. 

Je repense à mon arrivée dans la salle d'attente, à quand j'ai rempli mon dossier en prononçant très distinctement les 10 chiffres de mon numéro de portable, et qu'il écoutait d'une oreille attentive. 

Je me vois lui demander "c'est une bonne position ça échographiste ?"

La dame me hurle "JOHNSON." et me soutire 80 euros.

Je sors. Il fait 33°. Aujourd'hui j'ai 24 ans et 4 mois. Bientôt 3 mois que je suis célibataire. 8 ans que je n'ai plus 16 ans. Et je ne suis, en fait, différente que de 4 cm.

 



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