dimanche 22 juin 2025

[Bacșiș 7] Doomsday Blue



Les anniversaires, c'est compliqué. 
D'aussi loin que je m'en souvienne, ça a été un problème. Pas forcément le mien, cela dit. 
C'était le moment choisi par ma mère, tous les ans, pour me signaler un peu plus fort que le reste du temps que je ne l'étais pas, moi, choisie. 
Et apparemment "J'ai pas demandé à naitre" n'était pas une réponse recevable.
Par contre, "c'est quand, exactement, ta date d'anniversaire ?" chaque début mars, semblait être une question légitime à poser de la part de la détentrice du livret de famille.

Je vous passe les détails humiliants, des boucles d'oreilles offertes alors que je n'ai jamais eu les oreilles percées, des pains de viande préparés avec amour alors que je suis végétarienne depuis que j'ai 4 ans (bénie soit l'arrivée de Picard qui m'a permis de manger autre chose que du pain et du beurre lors des grands repas de fête, y compris quand ils étaient destinés à me célébrer, moi.)

Bref, à l'âge adulte, ce PTSD s'est transformé en une débauche de rattrapage de temps, avec des fêtes de 20 personnes dans des appart' trop petits et des tournées de shot avec l'argent viré par les parents en guise de présent. 

Depuis que j'ai coupé les ponts avec ma famille, ça s'est apaisé. Généralement, je me contente d'un dîner avec celles de mes amies qui sont dispo et de la sacro sainte carte signée par toutes les 5 de notre groupe, petite tradition amicale que j'entretiens pour les 5 autres quand leur heure vient. 

Cette année, comme j'avais prévu ma journée bien à l'avance et qu'elle servirait à rayer un élément de ma to-do list des "trucs à faire avant de tutoyer la grande faucheuse", je me faisais pas de bile. Jusqu'à en oublier quel âge je prenais. Les années se confondent un peu, le temps s'écoule de manière étrange - à cause de la trentaine, sûrement, mais aussi du chahut des années passées à se confiner/déconfiner et de mes périodes de dépression, d'hibernation ou d'exaltation qui ont tous influé sur ma perception, mes souvenirs. 

Ce 26 mars, j'avais donc négocié de me lever la dernière, le temps d'un saut dans la salle de bains, avant qu'on s'élance dans les rues de Bucarest à la recherche de notre bus, les yeux encore collés. L'aube était juste derrière nous, pourtant on a été les dernières ou presque à arriver.

Le guide - aimable comme une porte de goulag, ce qui ne surprendra personne, à ce point du récit - nous liste les règles et pas grand-chose d'autre. Il fait passer un bloc-notes au cas où on aurait des questions. 
Parmi nos interdictions, celle d'avaler quoi que ce soit dans le bus lors de ce périple de 12 heures. Même de l'eau. Sachant que chacun de nos trois arrêts serait chronométré, j'avais embarqué la moitié de nos vivres histoire de passer le temps à bouffer des fruits sec. 


Les roumains sont obsédés par leurs voitures, selon le guide, du fait d'avoir dû attendre longtemps, dans les années 70/80 avant de pouvoir en acheter une personnelle. Et effectivement, en Roumanie, malgré l'offre de transports en commun, les bouchons, c'est du soir au matin, du matin au soir. C'est à ne pas comprendre comment tout ce beau monde arrive au travail à temps. 

Après une quête auprès des quelques autres francophones du bus parce que le guide tenait à ce que le paiement des tickets se fasse en liquide (#tienstiens) et une tentative mémorable mais cependant ratée de Dealul de faire brailler "joyeux anniversaire" en roumain à tout le bus, nous sommes arrivés dans les Carpathes. Au château de Bran, demeure ancestrale de la famille Țepeș. 



Je ne me faisais pas d'illusions quant à ce qu'il est devenu, aka une grosse attraction touristique sans âme, entourée de vendeurs du temple. Malgré tout, j'étais un peu chagrinée de comprendre à quel point nous devrions tout faire au pas de course. Comme souvent, j'ai dû faire un choix:  rester avec les copines ou profiter de cette occasion unique de voir exactement ce que je voulais voir comme je l'entendais.


C'est un peu l'histoire de ma vie. Je suis atteinte d'un trouble qui, les professionnels s'accordent à dire, me rend incapable de vivre seule et pourtant je l'ai toujours été. Après un bref débat avec moi-même, j'ai décidé de laisser les filles derrière, histoire de n'avoir aucun regret, me disant qu'on aurait encore une bonne dizaine d'heures de bus pour débriefer.



 Le château ayant été acheté par des investisseurs privés, le dernier remodeling en date est assez... discutable. Des immenses fleurs en plastique rouge trônent dans des salles quasi vides où les seuls artéfacts présents ont été rapatriés d'ailleurs et ne représentent pas de grande valeur historique ou artistique.

L'architecture, elle, sorte de palimpseste de diverses époques, était badass à souhait. 

Ne sachant pas trop choisir entre aura romantique, présentation patrimoniale et attrape-touriste, le château est un gloubiboulga de tout ça à la fois.


L'élément le plus décevant restera la micro-boutique. Là où ils auraient pu se faire une thunasse de dingue, on ne trouve que du cheap, du même pas assez kitsch pour être drôle et les seuls objets un peu raffinés et originaux ont facile deux zéro de trop sur le pricetag. 


J'ai décidé que comme c'était MA journée, j'allais sacrifier un peu de temps de visite pour aller parcourir le village, d'autant que j'avais repéré les 8èmes merveilles du monde en entrant :

Des bons gros good doggos des montagnes, aussi gentils qu'impressionnants et léthargiques. 

Je me suis donc posée pour 5 minutes miraculeuses, sous le doux soleil du printemps, un énorme toutou sous la main droite et un Lángos au fromage dans la gauche. Une sorte de moment suspendu en mode contre-la-montre parce que le sacro-saint car ne nous attendrait pas.

La route a continué à défiler, j'avais toujours la tête dans le cul, mais j'ai quand même vu des charrues tractées par des boeufs, comme au siècle d'avant celui d'avant. Puis on a fini par arriver à Brașov, sorte de Bratislava Transylvanien.

Encore une fois, la course était de mise, nous forçant à faire plusieurs équipes - celle qui marche vite mais qui visite longtemps d'un côté, celle qui a la flemme et assez frileuse pour me voler ma veste restant avec moi. 

J'ai bien senti qu'insister pour qu'on se pose pour déjeuner avait été reçu de manière mixte, mais j'étais au bout du bout de ma vie - manque de sommeil, trop de transports, panique existentielle habituelle de cette période anniversairale. 



La plus blasée restant l'indétrônable Vascul qui, le temps qu'on arrive à notre prochaine destination, avait basculé dans son mutisme habituel et le mode automatique. Heureusement, le dernier arrêt était le plus épatant - il fallait au moins un monument en passe d'intégrer la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO pour la faire sourire à nouveau.

J'ai nommé le Château de Peleș, résidence d'été des rois - jusqu'à ce qu'il n'en ait plus - puis des camarades les plus méritants - jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus - et désormais énorme bâtisse et musée où on pousse des "oh !" et des "ah !" à chaque détour. 








La journée n'était pas terminée, mais cet article - qui s'est fait attendre, désolée : la vie - étant déjà bien trop long, je garde la suite pour un autre épisode.



lundi 12 mai 2025

[Bacșiș 6] Quartiers nord


Le ciel était bleu, les oiseaux chantaient des trucs en -ul, et pour nous, c'était direction le nord de la ville et ses gigantesques parcs bordant un lac.

Le programme : visiter un musée à ciel ouvert qui allait nous faire gagner un temps précieux en nous présentant toutes les multiples architectures des maisons historiques des différents coins de la Roumanie





Le tout entrecoupé de chats encore plus friendly que partout ailleurs et de personnel de surveillance qui l'était encore moins. 







C'a été une sorte de retour en enfance, des longs moments d'errance dans les pays de l'est à une époque où on manquait encore de tout dans des restaurants trois fois trop grands, comme prêts à accueillir l'armée rouge à tout moment sans rien avoir à la carte à leur servir. 
C'est un peu ce qui est arrivé dans le seul restau du parc où, à chaque tentative de commander, le serveur nous répondait "on n'a plus !" en riant. 



Pour voguer vers notre prochaine destination, nous sommes passés par un parc rendant hommage aux grands hommes, à tous les grands hommes, de Victor Hugo à Leonard de Vinci en passant par... Michael Jackson. 


C'est rarement le cas, mais à Bucarest, les quartiers nords sont ceux de la richesse assumée, et les rue arborées sont remplies de maisons individuelles proches de villa, de manoirs et de mini-châteaux. Les voies ont des noms d'artistes connus et tout y est très propre et bien rangé (penser : Auteuil-Neuilly-Passy). 
Logique, donc, que le couple Ceausescu ait décidé de s'y établir pendant son règne. 
On s'est donc rendues la fleur au fusil dans leur demeure, non seulement visitable mais faisant partie des attractions les plus plébiscitées par les guides. Un peu trop optimistes, peut-être, car devant, campaient des hordes de touristes attendant leur tour. 
La dame de l'accueil a bien tenté de nous décourager mais on a accepté une visite 1h plus tard, se disant qu'on trouverait bien un endroit où se poser en attendant.



Et quel endroit ! Les jardins de la villa sont la seule partie qu'on a le droit de photographier, sûrement pour aider à entretenir l'égo de ses habitants sacrés, les paons chouchous de Nicolae (ou leurs descendants.)

Pour loger depuis des décennies à un endroit aussi stratégique (coincés entre un bâtiment de l'ONU et l'ambassade du Koweit) ils en savent long. Genre ils ont passé l'aprèm à nous hurler le nom du nouveau pape alors que le précédent n'était pas encore mort.
Coïncidence ? Je ne crois pas. 





On aurait aimé partager l'intérieur à la fois kitsch et extravagant, des fourrures de madame, aux dons des différents hommes forts de l'époque (Charlie from the Gaulle a balancé des fonds de tiroir, en mode tapisseries moches et vieux biscuits, l'honneur est sauf.) mais comme je l'ai déjà dit : c'était interdit. Et décidemment, les roumains ne savent pas ou refusent de faire du fric avec leur patrimoine, pas de cartes-postales (ou si peu) à la vente.

Exténuées, on a fini par rebrousser chemin vers le vieux centre, histoire de prendre un café full-diabète/une tisane/un apéro. En mode 1 salle, 3 ambiances. 


Nous sommes ensuite reparties dans des rues déjà traversées mille fois (chiffre véridique) avec VâVâ mais que Dealul découvrait. Périple lors duquel nous avons pu lui servir de guide, et où VâVâ a eu le privilège de partager son coup de cœur international de la vie for ever (hormis les chats et nos ascenseurs d'amour) : 
le siège de l'association des architectes roumains.



[Ils ont désossé une vieille demeure pour y construire un immeuble flambant neuf, dedans.]








Et le soir, nous nous sommes posées dans le plus ancien et typique restau de Bucarest, le Hanul Lui Manuc, qui se trouve dans la rue de France (onéchénou) et aussi au pied de l'appart' qu'on occupait. Un dîner en terrasse dans le calme et la volupté à peine interrompu par le cri des chats quémandant du poulet à la seule carnivore de notre trio (VâVâ)(oui, je balance)(au cas où un jour les poulets prennent le contrôle de l'humanité) jusqu'à ce qu'un orchestre du cru se mette à tonitruer et qu'on regagne nos pénates, se demandant si on allait réussir à dormir entre leur boucan et la St Antoine, célébrée depuis le matin, pendant toute la journée et dont les fidèles faisaient encore la queue tard le soir pour accéder au lieu de culte. 




Or, certes, on était en vacances mais le lendemain, on allait devoir se réveiller aux aurores histoire d'attraper notre bus pour les Carpathes. Je ne m'étais plus réveillée à 6h du matin depuis le lycée. Alors, croyez-moi qu'accablée par l'hypersomnie, j'aurais jamais juré remettre mon alarme aussi tôt, surtout le jour de mon anniversaire...