mercredi 10 décembre 2025

Damned for All Time


Dans mes souvenirs, je suis souvent toute seule.

Celui-là en fait partie. Pourtant, j'étais dans une maison qui d'habitude grouille de bruit. Mais là, dans cette période entre chiens et loups, au croisement de Noël et du jour de l'An, je me retrouve sans personne autour sur un grand canapé blanc où on n'a le droit ni de manger, ni de dormir, encore moins de respirer.

Je ne sais pas ce que font les occupants de ce domicile. Moi, je ne fais que passer. Passer les fêtes ici. 

C'était l'époque où, ne sachant faire la différence entre une liseuse et une tablette, j'avais demandé un hybride des deux, me disant que ça me servirait à travailler, à lire pour le plaisir et pour les loisirs.

Le rétroéclairage a rendu toute activité sérieuse impossible et je me suis retrouvée à l'utiliser à 99 % pour jouer à Angry Birds et regarder des vidéos. 

Alors, j'ai exploré YouTube que je ne fréquentais d'habitude que pour la musique - quand les sites de streaming étaient bloqués au travail, par exemple. Ou pour regarder des clips, des images volées de concerts où je n'avais pas pu aller.

J'ignore comment l'algorithme m'a mise sur cette voie, mais je me suis retrouvée dans la sphère anglosaxonne de jeunes de mon âge - et un peu moins. Ils montaient des courts-métrages, tournaient leurs propres clips musicaux, partageaient leur quotidien, tout ça avec les moyens du bord, bien loin des superproductions actuelles.

De fil en aiguille, je me suis attachée à eux comme à une petite famille. Ils se connaissaient tous, certains s'aimaient, d'autres étaient rivaux. Il y avait des ships entre des garçons pas encore out. Des exs s'unfollowaient. 

C'était bien, parce que c'était loin. Parce que je ne partageais ça avec personne. En France, qui cela aurait intéressé ? 

Je crois que ça correspondait à une période de transition, dans mes groupes d'amis, où je n'avais pas encore les pieds sur la terre ferme, je dérivais gentiment. Alors, en attendant une île au trésor, j'avais ces petits anglais. Je voyageais à travers eux et je me disais qu'un jour, moi aussi, j'irai vivre à Londres, histoire de tout recommencer.

(Spoiler alert: quelques années après, quand j'avais assez mis de côté, il y a eu un comme qui dirait... un Brexit dans ma chaussure.)

Flash-forward, à Londres justement, quelques années plus tard. J'y vais régulièrement, pour explorer mais surtout dévorer des comédies musicales, maintenant que j'ai un peu de budget. J'ai passablement oublié mes YouTubers d'Albion, je suis concentrée ailleurs. Je suis une adulte responsable pleine de responsabilités responsabilisantes. Ma vieille tablette ne fonctionne plus depuis longtemps. 

Bref, nous sommes en hiver, et j'ai envie de manger indien.

Reste à convaincre ma compagnonne de voyage (de nature plutôt frileuse et moyennement patiente) de se taper la file d'attente d'une heure, dehors, pour atteindre le graal des restos. Dans la queue, je dois lui sortir mon meilleur one-woman show pour ne pas qu'elle batte en retraite. Heureusement, le personnel arrive avec des thés offerts par la maison et ma pote retrouve le sourire. 

On est enfin placées et je dévore le menu des yeux. Les tables sont serrées, l'endroit bondé. Les serveurs aux petits soins. Je commande, je me plante, mon accent est tordu, on en rigole. L'attente est longue dedans aussi, j'ai un peu épuisé les sujets de conversation. A l'époque, je suis très très hétéro et je tiens un blog qui l'est tout autant, alors par réflexe je regarde à gauche et à droite et j'essaie de repérer qui est le plus joli des hôtes de ces bois.

La table d'à côté de nous se vide, quelqu'un la nettoie, puis un groupe de quatre jeunes hommes arrivent. Eux n'ont pas d'accent, en tout cas pas le mien, ils sont du coin. 

Discrètement, je les regarde. Je ne sais plus ce que j'avais dans la bouche mais je le recrache sûrement. Je dois couiner. Devenir rouge, verte, bleue. Violette.

Ma pote est habituée à mes bizarreries. Impassible, elle attend mes explications de drama-queen afin de jauger si ça vaut la peine d'être hypée. 

Pour elle, très clairement non, car elle ne les connait pas. Il n'y a que moi, il n'y a que eux. Un nous qui flotte dans l'au-delà de mes intérêts monomaniaques. Il y a cette famille lointaine que j'ai un jour arrêté de regarder. Mon chouchou est parti aux USA, un autre au Canada, une autre semble percer au West End. Je trouve là un segway parfait pour expliquer la situation à ma pote qui ignorait tout de cette monomanie comme j'en ai tant.

Le fait est que, si on met les heures bout à bout, j'ai passé dans ma vie autant de temps avec les voisins de la table d'à côté qu'avec elle. 

Je ne vais pas leur parler, qu'est-ce que je leur dirais ? C'est clairement une sortie officieuse, ils n'ont rien à vendre, rien à présenter. Je les laisse tranquille, et je m'autorise juste quelques petits bruits surex. 

J'ai toujours croisé par hasard tout un tas de gens connus, que j'admirais souvent, de manière hautement improbable. Mon surnom a longtemps été "rockstar-magnet" et, si ça m'est beaucoup arrivé, je n'ai jamais perdu ma candeur à ce sujet. Je ne suis jamais devenue blasée - pourtant, beaucoup m'y encourageaient à coup de "j'ai jamais compris ce côté-là, chez toi..." ou de "tu devrais pas en parler, tu devrais garder ça pour toi, c'est gênant."

Je ne suis ni une stalkeuse, ni une chasseuse d'autographes, non, je vis ma vie et paf quelqu'un de connu croise ma route et souvent ça colle, le temps d'une soirée - plus rarement d'une tournée - parce que, justement, je n'ai rien cherché. Quand la situation fait qu'on est amenés à se parler, je m'adresse à eux comme à n'importe qui, tout en ayant les mêmes goûts et les mêmes réfs (bon, et pas froid aux yeux, j'admets.)

Mais ce jour-là, dans ce resto, à part faire un high-five intérieur à la moi d'il y a quelques années, je contente de manger mon repas et de laisser échapper quelques "j'y crois pas".

Flash-Forward, Londres toujours, mais en octobre dernier. La même pote est là, les autres aussi - j'ai organisé à la première un anniversaire surprise. 

On veille jusque tard à parler de ma nouvelle monomanie aka les gens qui disent du sale dans mes écouteurs. Parmi mes chouchous, un mec british, le seul de la bande à ne pas être totalement anonyme. Je vante ses mérites, fait écouter sa voix et, bien sûr, ma pote se moque une fois de plus de son pseudo - et je ne peux pas lui donner tort. Là, elle pose la question qui lança mille navires : "Mais, il a vrai prénom, au moins ? !" 

Je lève les yeux au ciel. Je ne sais pas quoi lui répondre à part "gngngn tout le monde a un prénom ! Même les gens sous pseudos ! Même les gens mal nommés !" Puis on va se coucher. Je m'endors avec un audio safe for work dans les oreilles (car on m'a interdit le reste tant que je partageais mes murs)(incompréhensible censure......) et je me réveille, groggie, avec en tête cette question en boucle. C'est vrai ça, il a un vrai prénom ou pas ? 

Un autre de mes superpouvoirs est que, quand je le veux, je peux trouver un peu n'importe quoi sur n'importe qui. La plupart du temps, je choisis juste de ne pas le faire, car comme pour le mensonge, j'estime que c'est vivre la vie en mode "triche". Ce matin-là, je ne sais pas, je suis faible, à bout, j'ai besoin de réconfort, de quelque chose de tangible et je google l'individu. Trois pages de résultats plus tard, je découvre son prénom, son nom de famille et son CV complet depuis que le monde est monde, ainsi que le nom de son ex vue de nombreuses fois sur scène et d'autres choses encore. 

TMI pour un réveil aux aurores dans une piaule qui n'est pas la mienne. Je cligne des yeux, je chasse la brume et d'un coup, mon souffle se coupe. On a des gens en commun. Je découvre d'anciennes photos. Mes poumons explosent. Je fais le rapprochement avec son ancien pseudo. Mon cœur sort de mon corps. 

Voilà. C'est devant mes yeux. Comme le nez (qu'il cache désormais sur ses photos) au milieu de la figure : un des garçons avec qui je passe mes nuits était assis non loin de moi dans ce restau indien, comme il était sur ma tablette sur ce canapé blanc. 

Il a changé de nom, changé de masque, mais par trois fois nous nous sommes trouvés et nous nous sommes retrouvés.

****

Si je vous écris ça maintenant c'est que, depuis, je suis me sens personnellement investie dans sa carrière et qu'une fois encore c'est le moment qu'il choisit pour vouloir voler vers de nouveaux horizons. On est un peu comme le Doctor et River Song, pas sur la même timeline, destinés à se croiser dans nos multiverses et à se regarder - s'écouter - se frôler - se savoir de loin.







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