dimanche 27 avril 2025

[Bacșiș 4] French touch

 


Pour en revenir au déroulé de ce séjour, la première matinée venait de s'écouler. Nous sortions d'une escapade pleine de chats et de gens décédés au cimetière Bellu. 

J'aime beaucoup prendre le pouls d'une ville, d'un peuple, d'un pays, à travers sa manière de traiter ses morts (en outre de ses animaux errants)

Dans le cimetière, j'avais été agréablement surprise de l'accueil (en total roumain, mais hyper chaleureux) des agents d'entretien. C'était un lieu vivant, plein de gens en balade, d'autres s'affairant sur des tombes ou s'occupant des végétaux, ou des animaux. Au beau milieu, j'ai remarqué une famille Rom, qui avait l'air installée là pour la journée. Ce seront les seuls que nous verrons dans Bucarest même de tout le séjour. Une connaissance locale nous confirmera que cette population est remisée loin, très loin, de là où ils pourraient être vus ou considérés. 

Bref, quand on s'est aventurées dans notre première aprem musées, je ne partais plus aussi perdante quant à l'accueil qui nous serait fait. 

On a donc débarqué au musée municipal de Bucarest (c'est pas mal, je trouve, d'avoir le topo de l'histoire de la ville avant d'apprendre à la connaitre intimement), la fleur au fusil, avant de nous retrouver face à un agent d'accueil glacial qui nous a dit que c'était "cash only" (cash que nous n'avions pas, armées de nos petites cartes bancaires internationales sans frais à l'étranger). Il nous a tendu une feuille expliquant un autre moyen de payer, en ligne. Alors que je luttais pour obtenir du réseau (tout un poème d'ailleurs, les télécommunications en Roumanie, on passera plus tard 48h sans Wi-Fi dans notre logement et, signalant le souci à notre hôte, on recevra un "ça arrive", question soulevée plus tard avec notre connaissance locale, celle-ci répondra "ça arrive". Je crois donc qu'on peut en tirer la conclusion que : ça arrive.), alors que je luttais donc, je grommelais en français.

D'un coup, d'un seul, l'armoire à glace croisée porte de prison qu'on avait en face se transforma en charmant jeune homme francophile qui se mit à parler dans un français très correct et à devenir très serviable. 

On comprendrait plus tard qu'on bénéficiait là d'un privilège sponsorisé par le Général Berthelot, assez oublié dans notre contrée mais adulé en Roumanie, où il fut même déclaré Citoyen d'honneur pour services rendus pendant la 1ère Guerre Mondiale. Avant lui, Napoléon III avait pas mal copiné avec le roi d'alors et donné un gros coup de pouce à l'union de la Roumanie telle qu'on la connait actuellement (fractionnée en provinces avant). Enfin, Charlie from the Gaulle a bien enfoncé le clou et bénéficie d'une place à sa gloire, et de statues. Dans la ville, on trouve une rue Edgar Quinet (qui, pour ma part, n'est pas un homme mais une station de métro) et même des pâtisseries "Maréchal Joffre" dans un des plus classieux hôtels de la ville. 

Tout cela manque un peu de zouz, me direz-vous, mais bon, on n'allait pas grogner sur la charge mentale que ces grands hommes nous ôtaient par ricochet.

Après une visite qui avait de remarquable le fait que parfois les explications étaient traduites parfois pas, parfois elles l'étaient juste en anglais, parfois juste en français, parfois les deux, parfois dans d'autres langues mais pas toujours. Que les QR codes ne menaient sur rien (avec quel réseau ?) Que certaines salles étaient surchauffées (grande passion "on a que deux positions sur nos chauffages : "on" et "off" dans ce pays) et d'autres glaciales (off, donc), on est tombées sur le livre d'or où d'autres français avaient laissé un message détestable qui risquait bien de nous faire perdre tout privilège à l'avenir. Armée de mon stylo, je me suis excusée pour eux, précisant qu'on n'était pas tous comme ça, mais qu'on avait de bons gars aussi. Genre... euh... Voilà. 



Plus sérieusement, dans ce musée on a appris que la ville n'avait pas seulement été détruite par les guerres et dictatures mais aussi par de nombreux séismes. Ceci expliquant cela, me pressai-je de justifier à VâVâ qui en était mentalement désormais à : "Non mais c'est moche mais attachant, un peu."

Le syndrome du voyageur étant écarté, je pouvais passer à mon sujet d'anxiété suivant : rat-des-champs (retenue loin de nous pour des raisons encore une fois indépendantes de toute volonté et qui n'étaient la faute de personne, non vraiment) nous rejoindrait-elle à temps pour mon anniversaire ? 


jeudi 24 avril 2025

[Bacșiș 3] Going to a town

 


Ce n'étaient peut-être pas mes premiers pas dans les Pays de l'Est, mais c'étaient ceux de Vâscul* (pour des raisons d'anonymat, les prénoms ont été changés par des équivalents roumains rigolos et un peu ridicules, aussi)(car en Roumanie tout, ou presque, finit en "ul")... 

...sauf que le fait que mon amie ignorait tout d'où elle mettait les pieds, je ne l'ai découvert qu'à bord du bus nous menant à notre logement quand elle a dit quelque chose du genre : "bon, c'est pas ouf jusqu'ici mais c'est sans doute parce qu'on est près de l'aéroport."

Oh sweet summer child... ai-je donc pensé. 

"Euh, VâVâ, c'est où le plus à l'Est où tu sois allée, dans ta vie ?"

"Le Japon ?"

"Non mais... en Europe ?"

"La Belgique ?"

Je suis donc instantanément entrée dans une crise de panique discrète, en me disant que je n'allais pas trop savoir comment lui vendre le charme de l'est, du béton armé et des routes avec des trous assez larges pour laisser passer des chars russes (en cas de soulèvement inopiné). 

La culpabilité m'étreignait. Comme je l'ai dit dans les épisodes précédents, je suis une reine de l'orga. Je prévois tout. Tout le temps. Je checke. Je rechecke. Je République Tchèque. Je suis sans failles.

J'avais juste omis de préparer mentalement mon amie à notre destination. D'un coup, je me suis dit qu'on allait peut-être se retrouver avec deux syndromes du voyageur sur les bras, en attendant que rat-des-champs nous rejoigne - à une date encore incertaine à ce moment en raison de facteurs multiples qui ne sont la faute de personne et pourraient arriver à tout le monde, non vraiment.

Par où commencer ? L'histoire chahutée du pays, voire de la région ? Passer par la parabole de mes deux années au Havre (dont on nous apprend à aimer la beauté à l'aide de grands cours magistraux d'histoire du patrimoine, comme on mouille la nuque à un enfant avant de le pousser à l'eau) ?

J'ai opté pour "Là, regarde, un tyrannosaure !" 

Merci au musée d'histoire naturel de s'être trouvé sur notre chemin et de m'avoir fait gagner un précieux temps. 

En regardant autour de moi à l'affût d'autres éléments pour occuper l'esprit de VâVâ, comme on cherche désespérément un hochet pour empêcher un bambin de pleurer, j'ai repéré une vieille dame qui faisait le signe de croix à l'envers.

Pas bon signe. Il fallait donc la distraire autrement. Je lui ai alors posé des questions sur la Formule 1, sachant qu'avec ça, on était partis pour 30 minutes de quiétude. 

De temps à autres, je regardais vers la dame, qui une fois sur deux, se remettait à se signer. 

VâVâ a fini par proposer : "Peut-être qu'elle a peur en bus ?"

Ce à quoi j'ai répondu : "Moui ?"

Car mon cerveau était toujours à 90 % occupé à essayer d'inventer une jolie histoire pour enrober l'endroit où, c'était trop tard maintenant pour reculer, nous allions passer les huit prochains jours.

D'aucuns diraient que je dramatise. Mais d'aucuns n'ont pas connu VâVâ à l'étranger qui, à la moindre anicroche, s'arrête complètement de fonctionner en mode "erreur système". 

Ce fut le cas à Londres pour cause de : rhume.

Donc autant vous dire que je ne la pensais pas prête pour : l'esthétique de BUCAREST.

Parenthèse refermée, j'étais dubitative quant à la raison invoquée pour le stress apparent de la mamie*, déjà parce qu'elle avait pas l'air stressée, même si elle se signait pour la 18ème fois, mais aussi parce que si les ex pays communistes ont un atout, c'est bien les transports en commun. Propres, modernes, efficaces (en théorie), développés chez eux avant partout dans le monde ou presque. 

Bref, on était presque arrivées à notre point de chute, ne nous restait qu'à aller faire les courses pour les petits déj de la semaine (là, le choc culturel tenait plus du fait que le Carrefour à côté de chez nous était ouvert 24h sur 24 que sur le magasin en lui-même, vous l'aurez deviné) quand patatra...

"Mais c'est horrible, en fait cette ville ? !"


*Rat-des-champs nous expliquera plus tard (car spoiler: elle finira par arriver) que les orthodoxes se signent devant chaque église ou élément religieux. Et il y en a à tous les coins de rue à Bucarest.

lundi 21 avril 2025

[Bacșiș 2] Step up for the cool cats

 


En termes de galères financières, l'année dernière s'est posée là. 

Au même moment, il y a un an, j'apprenais qu'un contrat de trois mois qu'on m'avait promis s'envolait, j'allais passer les mois suivant à courir après les jobs minables pour combler le manque à gagner.

D'un côté, la perspective de ce voyage m'a aidé à m'accrocher, d'un autre, tout devenait extrêmement compliqué quand mes deux comparses m'ont mise dans une position impossible : l'une voulait partir en avion, l'autre en train. 

Je suis plutôt pour sauver la planète, à choisir, et je peux travailler d'où je veux, donc le train ne me dérangeait pas, mais j'ai aussi une jauge d'énergie très basse (de base, et depuis que j'ai développé une forme de narcolepsie qui touche une personne sur cent mille, environ, c'est devenu hors de contrôle), et me retrouver dans le stress des réseaux ferrés aléatoires d'Allemagne ne m'enchantait pas. Quand j'ai appris que l'escale se déroulerait à Vienne, une ville que je connais malgré moi beaucoup trop et à laquelle je trouve très peu d'intérêt, c'était encore moins engageant.

Pour avoir aussi connu l'Autriche des années 90, mon souvenir le plus marquant est d'avoir été rattrapée un nombre incalculable de fois par le col quand je m'élançais à la rencontre de gros toutous, qui étaient en fait les molosses de cohortes de skinheads. A l'âge adulte, en dehors du musée Klimt, je garde surtout l'agacement d'avoir été enfumée dans tous les cafés, et d'une ville morte, à la population grabataire et plus froide que Jack à la fin de Titanic.

Et de toute façon, entre les billets d'avion et ceux de train, c'était du simple au triple. Et moi, je me galérais avec des missions me rapportant 4 € de l'heure avant impôts, donc le choix s'est fait de lui-même.

Ensuite, je maitrisais. La partie organisation me plait, et je crois être très douée pour ça. Du coup, trouver des dates, un logement, des activités à faire, c'était du gâteau et ça me permettait de déjà m'évader de mon quotidien au moment où j'étais enfermée dans une cave à retranscrire des conversations semi-privées de hauts cadres de la Défense. Et non, malheureusement, c'était pas une vacation au Bureau des Légendes. Ma vie a arrêté d'être badass depuis un long moment, déjà. 

Je suis un rat des villes. J'ai passé 17 ans à la campagne, dont 15 sans Internet, j'estime avoir assez donné. Je préfère mille fois la faune à la flore, et à Bucarest, j'allais être servie. Tandis que l'amie écolo prenait le chemin des écoliers et baguenaudait dans la campagne roumaine, mon amie moins écolo et moi débarquions en plein centre-ville, blindé de tours couvertes de publicités géantes. Le gris du ciel, des immeubles, du sol et de la mine des gens pour tout horizon... jusqu'à.


Première excellente surprise du voyage : l'abondance de chats libres, en très bonne santé, stérilisés et vivant en colonies, bien nourris et choyés par les locaux. Certes, ils doivent rendre pas mal de services en terme de régulation de la vermine, mais je me suis dit qu'un peuple qui prend tant soin de ses boules de poil errantes ne devait pas avoir le coeur aussi glacé qu'ils aimaient à le manifester au monde.




Et comme première excursion - en attendant l'arrivée du rat des champs - j'avais choisi le max du max de "Johnson se confronte à la nature", c'est-à-dire une virée au Père Lachaise local, le Cimetière Bellu. 

Comme je suis un génie de l'organisation, on a fini notre tour pile à temps avant la première averse de la journée, nous contraignant à nous rabattre vers le centre-ville et à nous confronter avec la vraie vie. Celle des humains encore vivants. Ou presque.




mercredi 16 avril 2025

[Bacșiș] L'amour sous les tilleuls*


[*Dragostea din tei]

Je ne suis pas une touriste de l'extrême.

Mes handicaps font que je peux facilement me retrouver en blackout, à l'étranger, quand j'y suis seule. Moins je comprends la langue, plus je suis loin de chez moi, plus ça a de chances d'arriver. (Googlez Syndrome du voyageur pour plus d'infos)

Un gardien de la Bibliothèque nationale d'Irlande a dû me secouer pour me faire revenir à la réalité quand celle-ci avait déjà fermé depuis 20 minutes.

Autant vous dire que pour rayer "visiter le château de Dracula" de ma liste des choses à faire avant de mourir, c'était pas gagné.

Chez moi, aucun a priori sur les pays "de l'est". J'y ai passé une bonne partie de mon enfance, et je ne parle pas des châteaux baroques de la vallée du Danube (même si je les ai tous faits), mais bien des plaines désertiques de Hongrie où, à l'époque, on n'avait jamais vu de touristes. 

Je suis retournée, adulte, à Budapest et en République Tchèque, en m'apercevant que les choses avaient évolué pour le mieux (plus de chaleur humaine dans l'industrie du service, par exemple, moins d'amendes systématiques quand on avait l'air d'être trop "de l'ouest", plus de légumes dans les assiettes...) 

Toujours est-il qu'à bientôt 37 ans, j'étais quand même bloquée. Je ne me voyais pas me rendre seule à l'autre bout de l'Europe dans un pays où je ne parle pas un traitre mot de la langue (mes bribes d'allemand m'avaient toujours sauvée jusqu'ici quand l'anglais ne suffisait pas, mais la Roumanie est à part, les vieux ont tous appris le français, les jeunes ont plutôt des notions d'anglais mais de manière générale en Roumanie, on parle roumain).


Ce fut donc un voyage maintes fois repoussé. Une sorte de serpent de mer. 

Qui, pour m'accompagner, dans une destination qui ne vend clairement pas du rêve à la plupart des gens n'ayant pas eu d'adolescence gothique ? Sachant que dans mon groupe d'amies, ça se reproduit à vue d'oeil et qu'on n'est pas sur un endroit hypra child-friendly. 

Je ne sais plus comment c'est arrivé sur la table, mais j'ai dû, sans trop y croire, rebalancer l'idée comme ça, devant ma pote qui me suit un peu partout du moment que c'est moi qui prends toutes les décisions et qu'elle a un minimum de confort. Bizarrement, elle n'était pas contre. Je n'ai pas eu à survendre et faire des promesses risquant de placer des attentes trop hautes. J'ai juste dit que j'aimerais bien fêter mon anniv là-bas - c'est toujours une semaine critique pour moi, donc autant la passer loin de tout tracas quotidien. Et puis, on en a parlé devant le reste du groupe et une autre amie s'est greffée. Moins séduite, je crois, par la destination que poussée par une envie d'aventure qu'elle n'avait pas pu assouvir quand elle était célibataire.

On se retrouvait donc à trois, de manière inespérée pour moi, avec pour seule certitude qu'on serait dans les Carpathes le 26 mars 2025.