jeudi 31 juillet 2014

Party girls don't get hurt



Il ne fait ni froid ni chaud quand elle sort de la station Opéra. C'est l'été, mais ça ne l'est jamais vraiment, à Paris. HsJ a les mains dans les mains poches, puis elle se souvient que maintenant elle met des robes, et que rares sont les poches dans sa vie. 

Elle lève la tête quand l'éclat d'une pièce intelligemment orientée lui éblouit l’œil droit. Le toit. 
Dans un sens, elle préfère ça à devoir faire de la spéléologie nocturne. 

En se glissant entre les barrières, elle se dit que c'est presque trop facile. Que tout cela serait bien plus excitant s'il y avait vraiment un risque de se faire prendre.
Mais il a tout prévu. Comme toujours. C'est chez lui, après tout. 

La trappe est en place, mais, bien sûr, ça n'est pas là qu'il l'attend. Elle ramasse un lourd objet déposé là quelques jours plus tôt, son offrande au maître des lieux. Elle cherche pendant quelques secondes puis remarque la porte de la sortie de secours, entr'ouverte. 
S'en suivent une succession d'escaliers de service, de plus en plus mansardés. Et enfin, l'air libre. Ou plutôt : à nouveau. 

Elle a pris de la hauteur, ses oreilles grimacent de tant de pression accumulée en si peu de temps, mais elle accélère le pas. Il n'aime pas attendre, même si c'est son occupation principale.
Quelle pose mélodramatique-overzetop a-t-il choisi en cette occasion ? C'est cette question qui accompagne les derniers mètres qui la séparent du balcon. 

Comme prévu, il regarde vers la ville, cape sur les épaules, caché par l'ombre projetée par l'une des sculptures.

– Te revoilà.
– Yep.
– Tu as donc failli.
– Grave.
– Qu'est-ce que tu traines ainsi derrière toi ?
– Un transat. Je l'ai piqué à Paris Plage. Je pensais que ça ferait bien au bord de ton lac. Et puis les fleurs, en sous-sol, ça crève vite, alors...
– C'est inutile.
– Comme tous les cadeaux, hein. Au pire ça vous fera du feu de bois.
Il daigne enfin se retourner, m'exposant son meilleur profil ou en tout cas le plus humain.
– Raconte-moi.
Elle pose le transat et hésite un moment. Non, décidément, ce n'est pas le meilleur moment pour s'avachir. La bordure en pierre semble plus appropriée. Elle a le vertige d'habitude, mais en sa compagnie, elle sait qu'elle ne risque rien. Ou qu'elle risque gros. Mais s'il devait lui arriver malheur ce ne serait en tout cas pas du fait de sa maladresse.
– J'ai mis le masque, et je suis allée me confronter au monde des vivants, comme prévu.
– Avec quel résultat ?
– Plutôt pas mal au début. Beaucoup de gens ont réagi et j'ai même dû faire le tri parmi les volontaires. Et puis, les choses sont devenues plus réelles.
– J'imagine que pour attribuer leur confiance, ils désiraient voir.
– Voilà.
– Et donc ?
What did you expect? Je leur ai montré. On a un truc qui s'appelle Facebook, vous savez, je vous en ai parlé vite fait. Et bah je les ai ajoutés là-dessus, pour qu'ils voient ce que je donne sans masque.
– Ca n'était pas prévu.
– C'était un peu incontournable.
– Ca n'était pas prévu pour une bonne raison.
– Oui, et je l'ai compris après. Mais si vous partagiez un peu ce qui se passe dans votre tête au lieu de donner des indications injustifiées à tout bout de champ, moi, je serais ptet un peu plus docile.
– Non.
– Non ?
– En aucun cas quoi que ce soit pourrait te rendre "plus docile".
– Oui. Bon. Le résultat a été terrible : au bout de 5 secondes ils ont claqué la porte, horrifiés. Sur les trois hameçonnés seul un est resté.
– Oh.
– Et il m'a demandé à me rencontrer en vrai. Alors j'ai dit oui. Mais je pouvais pas tout de suite, et je pense que c'est ça qui a tout fait merder.
– Le langage.
– C'est encore un peu touchy, je me laisse emporter, désolée. Donc je lui avais proposé des dates, et quand je l'ai relancé, paf, plus de nouvelles. Du coup je lui ai secoué les puces, un peu, mais ça ne valait plus le coup de s'attarder sur celui-là.
– J'en conviens. Qu'as-tu fait du corps ?
– Woah. Non. Je lui juste envoyé un message moralisateur et passif-agressif. Faire tomber des lustres sur la tête des vilains gens c'est votre truc, pas le mien.
– Ma méthode est efficace.
– Trop. Mais c'est la votre. Je ne saurais l'imiter.
– Et ça s'arrête là ?
– Pas tout à fait.
L'homme au masque me fit signe de continuer.
– ...C'est que... L'important, c'est le résultat... Vous le connaissez... Pourquoi s'appesantir sur les détails ?
– Parce que je te le demande.
– Certes. Bon. Mais pas de destruction intempestive de matériel classé au patrimoine français, hein ?
– ...
– Alors, le plus récent, celui de la dernière chance, a pris contact avec moi un soir, je pensais que ça ne me mènerait à rien. Que la discussion cesserait avec l'endormissement et serait morte le matin venu. Mais non : à mon réveil, de nouveaux messages m'encourageaient à poursuivre. Je me suis prise au jeu, une dernière fois, et aussi parce que tenter n'est pas vraiment tenter si on n'y va pas à fond. 
– Quelle conscience.
– N'est-ce pas. Bref : les jours s'enchaînent et il me propose son seul soir de libre, en offrande. J'acquiesce et me prépare à m'y rendre sans masque. L'épreuve du feu. Le point de non retour.
– ...Ca suffit avec ces références. Ne crois pas qu'elles m'échappent.
– Le méta c'est très à la mode, désolée. Je disais donc que tout s'annonçait bien : le type un peu trop romantique, qui te donne rendez-vous au milieu d'un pont, au soleil couchant, sans chercher à savoir à quoi tu ressembles avant.
Il se retourne complètement et fait face à HsJ.
– Tu y croyais vraiment ?
Elle hausse les épaules :
– Je devais y croire. Quelle alternative j'avais ? C'était ça ou rien. Ou le vide. Absolu. Ne vous en déplaise, hein. Quand j'ai décidé d'essayer, c'était en espérant réussir.
– Tu y es donc allée.
– Oui. Avec 5 minutes de retard. Je me suis perdue. Tout était donc parfait.
– Tsss.
– J'écrivais des textos pour me déstresser. Pour dédramatiser. Pour me dérider un peu et ne pas avoir un masque figé quand il me confronterait. Enfin. Mauvais choix de mot mais vous avez pigé.
– Oui, j'ai bien compris.
–  Je voyais rien. Je suis myope. Le soleil me piquait les yeux. J'étais presque aveugle et le vent me faisait pleurer. C'était pas chouette. Et puis l'appel du vide et les flots, en dessous. La Seine qui peut t'engloutir si tu fais un faux pas. L'obsession de la hauteur.
Scare of heights?
– Ah oui non, si vous vous y mettez aussi, on va pas s'en sortir. L'humour c'est ma méthode.
– Soit.
–  10, 15, 20 minutes se sont passées.
– Oh.
– Voilà. Donc je lui ai réécrit, par souci de ne pas le condamner trop vite.
– Et ?
– Je lui ai demandé s'il était possible que je me sois perdue. Il m'a répondu que c'était lui, qui devait s'être égaré. C'était donc mort. Je suis partie. Les épaules basses, le corps engourdi de tout ce stress qui n'avait, en définitive, servi à rien. Sur le chemin que je rebroussais, il m'a contacté encore pour me dire que cela faisait 20 minutes qu'il m'observait mais que je l'avais fait fuir, et qu'il aurait dû me demander d'ôter mon masque plus tôt - cela lui aurait évité de faire le déplacement, je parie.
Le Fantôme la regardait désormais avec un oeil presque attendri. Autant vous dire qu'elle n'était pas habituée à ce genre de chose. Pire : elle ne voulait pas de ça chez lui.
– Je lui expliqué proprement mais de façon glaciale ce que ce genre de comportement pouvait causer, comme ravage, dans un coeur humain. Il a confirmé que me voir l'avait fait fuir. Lui qui avait pris le temps de choisir une bouteille de mon vin préféré.
– Il avait donc tout pour te plaire.
– Ahah. Non. La lâcheté rend laid. Vraiment. Je perçois des traits déformés sur les visages de ceux s'en étant rendus coupables.
– Et te voilà. Ce soir.
– Les bras vides et la solitude en bandoulière. Incapable d'avoir relevé ce défi idiot.
– Je te l'avais bien dit.
– Ca doit vous faire plaiz. Vous deviez compter les jours en attendant de pouvoir balancer votre réplique.
– On s'ennuie beaucoup, à l'opéra.
– Vous avez l'air ouais. Enfin voilà, résultat des courses, c'est vous qui aviez raison : il faut toujours garder son masque. Les gens ne sont pas capables de voir ce qu'il recouvre. Même s'il s'agit d'un visage sans cicatrices.
Il tourna à nouveau le dos, jeta un dernier regard à Paris illuminé, puis fit quelques pas.
Elle aurait juré que sa déception était perceptible. Peut-être que finalement... il espérait avoir tort. Peut-être qu'il souhaitait, par égoïsme entendons-nous, pas par altruisme, être l'unique en son genre. Le monstre des monstre. Et être ainsi justifié dans sa monstruosité acquise. Celle des actes.
Il se posta devant elle, un demi-sourire aux lèvres.
– Comment m'as-tu dit que cet étrange objet s'appelait ?
– Un transat. C'est pratique pour la plage et le cinéma en plein air.
– Hum.
Il commença à s'éloigner.
– Ca vous dirait d'aller à la Villette un de ces soirs d'ailleurs ? Ca vous ferait peut-être du bien de sortir... On pourrait être seuls à deux. Enfin moi je dis ça...
Mais quand elle releva la tête pour quérir sa réponse, il avait déjà disparu.

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