lundi 5 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #1] Lady V.



Lady Violet avait 10 ans quand on l'a fiancée.
Ce jour-là, on l'a rattrapée alors qu'elle s'élançait vers le jardin. Elle s'est débattue, un peu, mais avec la force d'une enfant.

Les adultes l'ont assise sur une des hautes chaises du château et ont parlé de choses qu'elle ne comprenait pas tout à fait. Tout ce qu'elle savait c'est qu'à côté d'elle, sur une assise semblable, se tenait un portrait.

Ils étaient côte côte, alors elle ne voyait pas bien qui il y avait dessus.

On lui demanda de placer sa petite main sur une Bible et on glissa autour de son cou un collier dont le pendentif était une sorte d'anneau. 

Lady Violet bailla et finit par s'endormir la tête sur son épaule. 

Le soir venu, après un grand et long repas, on lui permit de se retirer. 

C'est en courant dans les marches en pierre qu'elle rejoignit sa chambre. Elle allait pouvoir lire, ou broder, ou rêver. Ou même les trois. 
Pour un tout petit laps de temps, elle serait seule. Sans surveillance. 

Lady Violet claqua fort la porte derrière elle et sautilla jusqu'au centre de la pièce, mais quelque chose l'arrêta dans sa lancée.
Comme un chaton fixant un point imaginaire dans l'espace, elle s'immobilisa. 

Rien n'avait bougé, pourtant. Et personne n'était là.
Alors pourquoi cette sensation étrange d'être observée ?
Elle regarda prudemment autour d'elle tandis que dans sa tête, tous les contes et légendes et leurs ogres et leurs sorcières défilaient. 

Ce n'est que lorsqu'elle fit face au mur nord qu'elle le vit.
Le portrait. 

Il avait été accroché entre ses deux fenêtres, au-dessus d'une commode en chêne, à la place d'une aquarelle sans aucun intérêt représentant un cours d'eau. 

Maintenant que Lady Violet pouvait discerner les traits de son occupant, elle comprenait mieux pourquoi l'atmosphère avait changé.

Le vieux bonhomme avait le regard dur et la mâchoire serrée, comme si il ne pouvait pas avouer une bêtise qu'il aurait faite. Il lançait ses deux billes noires directement à la figure de Violet qui n'osait pas lui rendre cette oeillade. 

Elle était perturbée par ce changement non consenti et ne comprenait absolument pas pourquoi on lui imposait cette image incongrue. 

Dès lors - et parce qu'elle savait bien qu'il était inutile de protester - elle prit l'habitude de lire, de broder ou de rêver en tournant le dos au portrait qui la perturbait tant.

Mais elle sentait, toujours, sur sa nuque, peser le poids de son regard.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Veuillez écrire un truc après le bip visuel : BIP