mardi 6 mai 2014

[Semaine de la fiction '14 #2] Reckoning



Lady Violet, à douze ans, était consciente du monde qui l'entourait et de ce que l'on attendait d'elle.

Tous les jours, elle avait un peu tourné sa chaise. Désormais, le portrait braquait son regard sombre sur sa tempe gauche et son profil, tandis qu'elle vaquait à ses activités. 

Elle avait compris que c'était cet homme étrange, cette image fixée sur une toile, qu'elle devrait épouser un jour. Cet homme dont elle ne pouvait se résoudre à croiser le regard.

Mais on ne se mariait pas à 12 ans. C'est ce qu'elle se disait. Et lorsqu'on la recevait en société, elle prenait bien soin de camoufler les avancées de son esprit et se restreignait à une attitude enfantine la protégeant des questions pressantes.

Elle ne voulait pas savoir quand cela arriverait. 

Le soir, elle demandait à ce que les rideaux de son lit soient fermés, ainsi, l'espace d'une nuit, elle était protégée de ces yeux inquisiteurs. De cette présence non désirée.
Elle ne voulait rien savoir sur comment cela allait se passer.

Les paupières closes, elle murmurait aux esprits de la nuit à quel point elle aimerait que le portrait disparaisse. 

Chaque matin, pourtant, quand on venait la réveiller et que les rideaux étaient tirés, c'était le même regard qui lui faisait face.

Elle prit la mauvaise habitude de fixer ses pieds, on la reprit beaucoup à ce sujet, mais c'était son meilleur bouclier contre l'intrusion de cet homme dans son petit monde.
Lady Violet bouchait ses oreilles mentalement dès que le sujet était abordé. Elle mordait ses joues et contractait tous ses muscles. Elle créait une sorte de brouhaha interne qui couvrait tous les sons qui l'entourait.
Violet survivait assez bien ainsi, et passait entre les gouttes.

L'homme au tableau n'était qu'un lointain mirage. Parfois, elle n'était même plus sûre qu'il existait vraiment. Par moments, elle se demandait s'il n'était pas comme ces images pieuses dans les églises, puis elle se reprenait d'avoir blasphémé.

Quand toutefois leurs yeux se croisaient, elle en avait le souffle coupé et pinçait très fort sa bouche, comme si elle s'était fait prendre la main dans le sac, entrain de voler des gâteaux secs dans les cuisines.

Elle aurait juré que le tableau avait changé. Elle n'aurait su dire comment et savait fort bien que son esprit lui jouait des tours : c'était son imagination qui avait récréé une image différente de celle qu'elle évitait si bien de dévisager.

Selon son imagination, les yeux de l'homme s'étaient plissés, comme s'il était aveuglé par quelque chose, ou intrigué, ou... Son imagination allait loin, parfois. C'était dû à tant d'heures de solitude.

Ce que Lady Violet savait, en tout cas, c'est qu'elle commençait tout doucement à s'habituer à cette décharge électrique. 
Cela devenait même un jeu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Veuillez écrire un truc après le bip visuel : BIP