dimanche 18 juillet 2010

Straight (prologue)

Elle a un nez droit. 

Elle a peut-être un front aussi large que l'A7, des cheveux raides, des jambes de poney, un survet' Decathlon, la peau grasse et les pieds en canard mais elle a un nez droit. 
Ce matin là, elle fait la même chose que depuis trois ans, elle essaye de devenir invisible, en se concentrant bien fort sur la fenêtre du hall, elle fait super bien semblant d'attendre quelqu'un, et donc, personne ne la fait chier. 

Quand on a l'air occupé, souvent, on vous approche moins.

En faisant ça tous les matins, parfois, elle se prend à penser que quelqu'un lui tapera sur l'épaule et que, sur un malentendu il ou elle croira qu'elle l'attendait. Ou alors, que ce manège l'amènera à créer des liens, à la longue, avec les personnes qui attendent vraiment des gens. 

Voila, la cloche a sonné, maintenant il faut feindre un air agacé de ne pas avoir été rejointe. Et puis aller se ranger dans la cour, malgré la température parfaitement normande.

 Lorsqu'elle passe l'encadrement de la porte, on la bouscule, sciemment, mais elle fait pas plus gaffe que les autres jours. 

Le prof de math vient les chercher en dernier. Depuis qu'il a laissé la classe seule pour aller tabasser un élève dans le couloir et qu'on a trouvé une bouteille de rhum vide dans son placard, il n'a plus tellement d'autorité. Un jour, il a eu la bonne idée de foutre le cancre de service à côté d'elle, parce qu'elle ne parlait pas. Et elle s''était mise à parler. 

Quand ils n'étaient que tous les deux, il pouvait ne pas la haïr, tant que personne n'entendait. 
Aujourd'hui, le prof rend les copies du dernier devoir. Plus l'année avance, plus elle s'enfonce, plus elle s'enfonce, plus elle sait qu'au prochain devoir à la maison sa mère finira par lui balancer son équerre à la gueule et jeter sa trousse contre le mur. 

Si on n'a pas d'humour, on n'a pas de patience non plus, dans la famille.

4.
Petite catastrophe dans une moyenne générale de 13. Elle peut retenir ses larmes pour un 9. Mais pour un quatre, c'est mission impossible. 

Le cancre essaie tout bas de comprendre l'étendue de ce qui va arriver à sa voisine une fois chez elle, et quand il devient évident (après une pique bien placée de Mr P.), il se joint à la foule, s'en fait le porte parole et assène un coup de grâce verbal qui fera qu'elle passera la récré aux toilettes. 

Elle peut pas écouter son walkman parce que tout ce qu'elle ramène finit par être volé, elle peut pas s'assoir parce que y'a pas de cuvette sur les toilettes et que c'est trop sale (oui parce qu'il y a du papier que le lundi dans ce collège). Donc elle s'appuie contre le mur. Mais quand des filles remarquent qu'il y a des baskets, là, dans l'interstice du bas, elles commencent à tambouriner à la porte. Donc elle sort. 

On la bouscule, son énorme sac amortit le choc. Cet énorme sac lui avait sauvé la vie, deux ans plus tôt, lorsqu'on l'avait jetée violemment à terre et que son coude avait cédé. Elle ne sait pas si sa colonne ou son crâne auraient résistés. Elle commence à se demander si elle n'aurait pas préféré. Les remarques commencent, d'abord les fringues, toujours, puis le poids, puis la coiffure, puis... la cloche sonne. Échappatoire royal concédé par la pionne qui leur hurle de sortir des toilettes.
Pendant les deux heures de français, elle pense à une fugue, immédiate. Elle a un peu peur de la faire seule, mais elle prévoit déjà ce qu'elle emmènerait. 

Son ventre grogne, un demi heure après, la cloche sonne. Mais le prof les retient. Lui n'a rien à perdre. Eux ont perdu leur tour pour la cantine et passeront donc en dernier. Ca ne change rien pour elle : tous les jours c'est pomme de terres sèches et elle n'en peut plus, alors elle n'en mange pas. 
Puis c'est la galère pour trouver quelqu'un avec qui manger, après deux refus, elle s'installe seule. La dernière table de libre a de la place pour huit. Donc elle essaye de se recroqueviller pour qu'on ne la voit pas. Elle hésite entre manger vite et manger lentement. Pour s'évader ou pour rester dans un lieu assez neutre. Et puis des troisième arrivent et s'assoient autour d'elle. Elle ose pas trop lever la tête. Ils lui demandent si ça la dérange, elle répond que non. Elle ment pas. Ils parlent avec vachement plus d'aisance que les autres, elle les écoute, est cachée par leur muraille. A un moment l'un lui demande son pain, l'autre son dessert. Elle ose trop rien dire. Pour une fois elle peut boire le midi. C'est déjà ça. D'habitude il faut abandonner son plateau pour aller se servir à la fontaine et quand elle revient elle n'a plus rien à manger. 

Elle peut même sortir sans avoir à chercher quelqu'un avec qui poser son plateau (parce que les dames de la cantine n'acceptent que les plateaux par deux, pas par un, comme elle, ou pas par trois, quand elle veut glisser le sien avec les deux déjà posés sur le comptoir). C'est plutôt une journée pas trop mal.

Il fait beau, d'un coup, et pour aller dans la cour, elle passe à côté du beau gosse du collège, elle rougit même pas, et il la voit, et il l'insulte pas. Peut-être qu'il ne la déteste pas en fait. Hier, il l'a même choisie dans son équipe en sport, et même pas en dernier. 

Il n'y a quasiment personne encore dehors, elle peut s'assoir sur un banc. Elle commence presque à sourire quand elle voit un oiseau la regarder. 

Elle relève la tête en sentant quelque chose de furtif s'approcher d'elle. 
La douleur est fulgurante, irradiante. C'est le noir dans sa tête. Elle s'écroule sur le banc. 
Quand elle parvient à rouvrir les yeux, elle voit le caillou qui l'a frappée, et a trop peur de savoir à quel endroit. 

Le soir, depuis la salle de bain, elle entendra ses parents décider que c'est mieux de ne pas porter plainte, elle fixera alors cette image d'elle dans le miroir : elle n'aura plus jamais le nez droit. 




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