lundi 17 janvier 2011

Imaginary friends

Une des déformations du métier d'éditeur : il nous arrive de ne plus acheter un livre pour son auteur, son titre, son histoire, ses critiques, mais parce qu'on est des fondamentalistes de la collection dans laquelle il a été publié.

En tant que spécialiste du fatras actuel qu'est la littérature de l'imaginaire pour jeunes adultes (pour situer les non initiés : certains diront que ça a commencé avec un certain sorcier à lunettes, je placerai la ligne de départ plus en amont, vers les premiers romans d'Anthony Horowitz, qui a été un peu trop en avance sur son temps avec son propre mini sorcier badass), en tant que fille qui peut produire des parenthèses de ce genre, donc, je suis amoureuse depuis ses débuts de la collection Wiz chez Albin Michel. C'est grâce à Hervé Jubert et plus tard Neil Gaiman, que j'ai réalisé que l'imaginaire faisait clairement partie de mon futur. 

Maintenant que je suis une grande fille et que mes lectures sont encombrées par des manuscrits venus de plein d'agences à travers le monde, je n'ai plus le temps de lire de nouveautés d'éditeurs pour lesquels je ne bosse pas, mais je persiste à suivre cette collection précise.
Même si vous êtes complétement étrangers aux tractations de l'édition, vous avez sans doute remarqué que les romans pour adolescents frôlaient dangereusement le roman sentimental et ce phénomène se résume en un mot : Twilight. (La Saga du désir interdit)(si si). Toutes les collections s'engouffrent donc dans le sillon et publient à tour de bras des romances entre des filles torturées et des garçons mystérieux et transformistes. Mon dernier gros boulot a d'ailleurs été de gérer la passation de pouvoir entre les vampires et les anges, nouveaux chouchous des teenage dreams de ces dames.

Alors, et j'en viens à mon sujet, lorsqu'un roman dépasse du paysage lisse actuel, qu'il est signé d'un auteur français (une rareté dans ce genre précis), qu'il est publié dans ma collection de cœur et qui, pour ne rien gâcher, se passe à New York, je suis forcément intriguée. 

J'ai poussé les manuscrits en attente l'espace d'une journée et j'ai lu d'une traite Bal de givre à New York de Fabrice Colin.
Une histoire comme décalquée des recettes actuelles de livre pour adolescentes rêveuses :

Une jolie jeune fille se fait renverser par le plus beau garçon de tout New York, qui n'est autre que l'héritier d'une riche et mystérieuse famille. Coup de foudre, ou presque, et amnésie particulière de la jeune fille qui redécouvre sa vie comme si elle se réveillait - ou s'endormait. 

Si je pense qu'il s'agit du meilleur anti-twilight, c'est en rapport à la manière dont a été détournée l'histoire d'amour. Elle s'élance d'abord sur les rails habituels de la bluette passionnée et irréaliste, colle aux attentes du genre pour mieux basculer dans l'inquiétant. On assiste alors au réveil et à la révolte de cette jeune fille qui s'est sûrement laissé trop facilement bercée par les rêves mormons distillés par Stephenie Meyer et consorts. Un garçon trop lisse, trop parfait, une histoire sans relief, surtout ne pas réfléchir et n'écouter que ses instincts, se couper du monde et ne vivre que pour l'autre : lui laisser les commandes totales sur sa vie. La réaction d'Anna est comme une bouffée d'air frais, un coup de pied dans l'édifice créé ces dernières années par des ménagères qui rêvaient à un romantisme déplacé, faisant rimer amour et soumission.

Ce basculement de génie est enrobé admirablement par une atmosphère maîtrisée : tout est dans le titre et la couverture.
On s'aperçoit vite que le New York d'Anna est différent. Les indices sont nombreux et peuvent dérouter, plus les pages avancent et plus quelque chose dévie dans cet univers en forme de bulle protectrice où rien ne peut arriver à l'héroïne. La question reste : quand est-ce qu'elle s'en apercevra ? Une des meilleures plongée dans l'onirisme que j'ai pu lire, un rêve récréé que tout le monde a plus moins vécu, un univers abstrait tiré d'une réalité aménagée et une quête impossible parsemée de personnages dont on ne sait s'ils sont amis ou ennemis.

 Au delà d'une lecture plus qu'agréable c'est donc une mini-révolution dans les codes du genre, et même pas besoin de vampires, d'anges ou de loup-garous pour ça.

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