mardi 6 janvier 2015

[Diex Aïe ! - Part V] Crush!


[I can't bury the hatchet]

Personne ne m'avait préparé à ça. J'ai débarqué dans la 4ème dimension. Habillée comme une petite fille du dimanche. Persuadée d'être dans un concours de cerveau, à lever la main tout le temps. 
J'avais tout faux. Et je me suis fait détruire en moins de deux. 

Alors oui j'avais un gros égo, mais les enfants sont prétentieux par défaut.
Effectivement, il doit y avoir une grosse part de slapette au fond de moi, mais on a beaucoup encouragé cela dans les premières années de ma vie. La petite dernière saute une classe, ça prouve qu'on a bien eu raison de la faire, finalement. 

A 11 ans, j'entrais donc en sixième avec un passif de warrior, persuadée que rien ne pourrait m'arriver. J'avais imposé mon végétarisme, le fait que je sois gauchère, j'avais adopté un chat errant un peu sauvage, je brillais de partout et, dernière victoire en date : j'avais vaincu les tocs générés par ma déstabilisation désorientée du CM1. C'était pas rien. 

Le premier jour, les plus grands m'ont envoyé des balles de tennis dans la gueule, tirées au pied. Parce que j'étais au mauvais endroit dans la cour. J'ai appris que j'avais un rang, un statut, imposé par les autres et donc une place. Un monde plein de règles absurdes qui allaient me bouffer l'existence. Un sac trop lourd à porter comme un fardeau, mais si tu le poses, les autres l'explosent ou te dérobent tout à l'intérieur. J'étais Sisyphe, d'un versant à l'autre de la montagne. 
J'ai essayé pourtant. Avec la première fille à côté de qui j'étais assise. Elle m'a repoussé gentiment, en ne m'adressant juste pas la parole. 
A la cantine, il fallait impérativement rendre son plateau en l'ayant jumelé avec celui de quelqu'un d'autre. Ca paraît con, dit comme ça, mais ça m'a pourri tous les jours pendant 4 ans. 
Parce que j'étais souvent seule le midi, et que ces connasses de dames de la cantine n'acceptaient pas les plateaux cumulés par trois. Allez savoir pourquoi. 

J'ai dû, moi et mes débris d'égo, aller supplier mes congénères qui mangeaient à trois de bien vouloir me céder leurs rogatons, que je puisse enfin sortir de la cantine. 

C'était une bataille constante. Avec en point d'orgue, les humiliations des vestiaires de sport. Au moment où le corps devient complètement foufou et les hormones rendent cinglé. 

Et côté académique, j'ai commencé à me rendre compte que je n'étais pas invincible, que j'avais mes qualités, indiscutables, mais aussi mes faiblesses. On ne pardonne pas, quand on est un élève de sixième, à une gamine qui se met à pleurer pour un 16 en anglais. C'est qu'on ne s'imagine pas ce qu'elle se prend quand elle rentre chez elle.

Les années d'or de chez Mémé étaient bien loin. Et les week-end étaient désormais des enfers où j'avais des comptes à rendre sur tout. Où un 18 était un "peut mieux faire", où il fallait que je justifie chaque demi point de perdu, où mes rares moments de décompression étaient pourris par l'annonce que je devais faire d'une note un peu décevante à mes parents.

Puis, il y a eu les devoirs à la maison de math, ces choses déconcertantes qui me laissaient circonspecte. Ma mère n'a jamais été patiente, mais là, c'en était trop. Je suis retrouvée plus d'une fois propulsée contre le mur en même temps que mes cahiers, livres et ma trousse qui volait en se vidant de son contenu. 

Je me souviens très bien de mon envie de vomir quand les profs anéantissaient mes perspectives de vacances avec la distribution des sujets "à faire à la maison". 

Au milieu de tout ça, je me suis raccrochée à un roc, une jeune fille turque super dégourdie, qui s'est élevée toute seule, jolie comme un coeur et qui m'a prise sous son aile. Avec elle, je découvrais le côté moins middle-class de ma ville. Elle m'impressionnait vachement. Sur plein de trucs. Effectivement, académiquement, elle traînait la patte, mais elle parlait deux langues parfaitement, s'occupait de sa mère qui elle, ne parlait pas français, et devait faire avec les obligations de son éducation, encore plus rigide que la mienne. Je l'adorais, je crois. Et elle s'affichait avec moi sans sourciller. Je n'étais plus seule.

Alors quand mes affaires ont commencé à disparaître, quand ses potes un peu loubards traînaient avec nous et que ça coïncidait avec la subtilisation de mon porte-feuille, quand elle mentait éhontément devant moi : je la croyais de toute mes forces. Je la défendais jusque devant mes parents. Au risque de me prendre ce qui leur passait par les mains à ce moment-là. Je me disais que c'était rien que des racistes et qu'ils savaient pas ce que c'était que l'amitié. 
Elle m'a pris énormément. Au propre comme au figuré.
Et c'était tellement dur à accepter que ce n'est que quand j'ai eu 20 ans que j'ai relié les points. Que j'ai vu clair. Que j'ai compris qu'elle me manipulait et me soutirait tout ce qu'elle pouvait. 
Bientôt, elle a trouvé une proie plus riche que moi, et j'étais à nouveau seule.

Seule le matin, à faire semblant d'attendre quelqu'un jusqu'à ce que la cloche sonne. 
Seule pendant les cours, à devoir supplier pour pouvoir m'asseoir, accumulant les refus.
Seule pendant la récré, à essayer d'éviter les coups et les insultes.
Seule pendant la remise des copies et devant l'angoisse de l'annonce future à mes parents.
Seule à la cantine.
Seule pendant le sport.
Seule pendant l'étude, seule durant les coups dans le dos.
Seule en rentrant chez moi, en mâchouillant mon goûter avec le regard vide.
Seule, enfin, en ne parvenant pas à trouver le sommeil, parce que trop de choses à digérer. 

Mais pas plus seule que ce jour où, avec le coude brisé en mille morceaux - la fille la plus populaire m'ayant projetée à terre pour faire trébucher un troisième qui lui courrait après - j'ai compris que mes parents ne prendraient pas défense. Qu'aucune plainte ne serait déposée. Pour préserver les apparences.

J'ai compris qui était mon véritable ennemi dans la vie : les apparences et ceux qui s'y attachent.  


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