"Editor" n'est pas seulement le nom d'un de mes groupes préférés de la Terre et du moment. C'est aussi ma future carrière (enfin, si je me perds pas dans les entrailles de la traduction voire de la librairie durant ma prochaine période de chômage).
C'est un métier qui fait fantasmer, et beaucoup de gens de l'intérieur entretiennent ce fantasme, un peu comme un clown ne se montre jamais sans maquillage. Nous sommes un mythe. Une image d'épinal. Des marionnettes qui servent à détourner l'attention du fait qu'on a, nous aussi, pour la plupart, des actionnaires, des fusions/acquisitions et des comptes d'exploitation prévisionnels serrés serrés.
Alors démystifions. Parce que vous êtes mes lecteurs, que vous n'êtes pas des bourriques, et que j'ai un peu l'impression de me foutre de votre gueule en vous faisant croire que je suis une sorte de médecin accoucheur pour auteurs touchés par la grâce.
Première étape dans "Les questions que je reçois toujours", le fameux coup du :
Vous les lisez les manuscrits reçus par la poste ?
"Vous" signifiant "les décisionnaires" je répondrai : Non. Les stagiaires lisent les manuscrits reçus par la poste. Après, si vous avez un bon gros CV d'auteur publié ça aide à être transmis directement à l'éditeur et si, dans votre lettre d'accompagnement, vous citez deux trois noms susceptibles de revenir en mémoire du responsable de la collection, y'a moyen que vous sortiez du tas de boue.
"Vous" signifiant "les décisionnaires" je répondrai : Non. Les stagiaires lisent les manuscrits reçus par la poste. Après, si vous avez un bon gros CV d'auteur publié ça aide à être transmis directement à l'éditeur et si, dans votre lettre d'accompagnement, vous citez deux trois noms susceptibles de revenir en mémoire du responsable de la collection, y'a moyen que vous sortiez du tas de boue.
Le stagiaire lecteur, lui, n'a que ça à faire, pratiquement, de lire les dizaines de manuscrits reçus par jour. Alors vous pensez bien qu'il est en quête de la perle rare. Et c'est possible, la preuve, ça m'est arrivé. Certes, il a fallu que je me tape la collection Septembre/Juin de manuscrits reçus par la poste, soit, au rythme de 5 par jours, 5 jours par semaines, pendant 10 mois à peu près 1000 manuscrits reçus. Autant vous dire que non, je n'ai pas eu le temps de tous les lire et cela vous explique par la même occasion pourquoi il y a jusqu'à 6 mois d'attente pour obtenir votre lettre de refus réponse.
La méthode c'est d'abord d'examiner le paratexte : est-ce que l'auteur est connu ? est-ce que le manuscrit correspond à la collection ? (Sinon, il va directement dans la collection du voisin, ça s'appelle balancer la patate chaude à ses co-stagiaires, et au pire s'il ne correspond à rien et que l'auteur a envoyé son recueil de poésie abstraite à la collection de science-fiction par pur désespoir, c'est retour à l'envoyeur)(Il y a déjà peu de chances qu'on vous remarque et qu'on vous publie alors on ne va pas créer une collection juste pour vous). Ensuite, presque le plus important : la lettre d'accompagnement.
Il faut que le synopsis soit engageant. Sinon le stagiaire qui s'est tapé 12 paquets de photocopies, 3 livres à scanner, et deux manuscrits pédo-zoo-cradophiles avant de lire votre bébé, il risque d'être d'encore plus mauvaise humeur. Ensuite, c'est toujours bien de préciser que vous connaissez bien la collection et pourquoi vos écrits à vous correspondent à notre ligne à nous. Ca s'appelle nous mâcher le travail, mais c'est apprécié.
Ensuite deux écoles : celle des directeurs de collection psychorigides qui exigent une fiche de lecture pour chaque manuscrits et celle de ceux qui n'ont pas le temps de lire une page résumant 500 pages et qui vous demandent de ne résumer que la crème de la crème.
Fiche de lecture, wtf ?
C'est vrai, c'est quoi ? Un truc genre le résumé de La Guerre des Boutons comme on vous avait demandé en 5ème ? Ouais. Non.
C'est un résumé oui, mais donnant l'idée la plus précise possible de l'intérieur du bouquin en une demi-page tops. Sachant que dans ma spécialité, l'imaginaire, les auteurs aiment bien faire du 1000 pages. En 5 tomes. La tâche est ardue. La deuxième partie de la fiche = le passage à la moulinette de votre bouquin.
Il a beau être bien écrit et chatoyant, s'il est invendable il sera renvoyé avec une lettre d'encouragement et basta. Il faut donc préciser la cible susceptible d'être enjouée par l'achat du dit bouquin, femme/homme, ado, enfants, quel âge ? etc.
Il faut surtout assembler des bouquins allant dans le sens de votre conclusion personnelle, car la dite fiche de lecture se terminera irrémédiablement par "Avis favorable à la publication" ou "Avis défavorable à la publication".
Suivant les maisons les mots choisis peuvent être plus crus.
Ensuite, lorsque le directeur de collection daignera t'accorder de son précieux temps, entre ses réunions, ses rendez-vous, ses coups de gueules envers la fab/le studio graphique / le marketing / les commerciaux et son frotti-frotta avec les journalistes/ ses collègues directeurs de collection / les libraires, tu auras 10 minutes pour lui présenter ton travail de la semaine. En gros entre 5 et 10 fiches de lectures sur la trentaine de manuscrits balayés. Soit entre 2 et 1 minute d'attention par fiche.
Ensuite, si un des manuscrits a retenu son attention, le directeur de collection transmettra la bestiole à son lecteur chouchou attitré (et surtout payé), qui démontra une fois sur deux ce que vous avez présélectionner, parce que faut pas déconner. Etre lecteur payé c'est pas être un bisounours. Les places sont chères dans les collections et il faut faire du vide.
Voila. Si le lecteur payé donne un avis positif, peut-être qu'enfin le décisionnaire en chef ouvrira votre bébé et en lira les 15 premières pages avant de dire "mais, c'est quoi cette merde ? Vous avez fumé quoi tous les deux ?"
C'est alors qu'il faut l'implorer afin qu'il pousse sa lecture plus loin, et, parfois, si les astres sont alignés et que l'économie repart à la hausse, la perle finit par être publiée.
(La mienne, en l'occurrence, 3 ans après sa découverte, alors conseil suprême : auteurs, soyez patients !)
Ps : Les tâches stagariales décrites ici correspondent au poste très officiel de stagiaire éditorial lecteur. Il existe plein de races et de missions différentes pour le stagiaire futur-éditeur, dont le stagiaire éditorial pas que lecteur, ou le stagiaire attaché de presse, ou encore le stagiaire com', ou encore le stagiaire machine-à-café-plante-verte.
Et la prochaine fois, on verra "Mais cette couverture correspond pas du tout à ce qu'il y a dans le livre, ils les lisent au moins les illustrateurs ?", mais bon, vous vous doutez déjà sûrement de la réponse.
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