vendredi 20 mai 2011

Asylum

S'il est une comédie musicale des plus actuelles c'est bien Notre-Dame de Paris version Luc Plamondon et Richard Cocciante.

Jouée pour la première fois il y a plus de 10 ans, elle prennait appui sur le texte de Victor Hugo (en le dégraissant un peu au passage)(le texte, pas Victor)(ni Hugo).

Ce qu'en connait le grand public se résume la plupart du temps aux single -sympas mais simplets- : VivreBelle & Le Temps des cathédrales. Ce qui se sait moins c'est que l'oeuvre amène au premier plan la conscience politique de l'époque. Clairement de gauche, le propos prend le parti des miséreux : plaçant Esméralda comme victime ultime, les Cour des miracles comme un ghetto (alors qu'il s'agissait plutôt d'un repère coupe-gorge des plus grands escrocs et assassins de leurs temps, une zone de non droit où plusieurs rois se sont cassés les dents à essayer de rétablir l'ordre), et surtout, ses habitants comme des immigrés (Les Sans-Papiers) qui ne traînent pas autour de Notre-Dame juste pour mendier et piller mais pour demander asile, ce qui, dans le contexte de la fin des années 90 n'est pas sans rappeler l'épisode de l'évacuation musclée de l'église Saint-Bernard en  août 1996. La mise en scène utilise des barrières modernes en métal et l'armée du roi a des matraques et des protections de CRS.

Comme quoi, l'immigration et l'intégration aux forceps ne sont pas un problème qui date d'aujourd'hui : Hugo publie son roman en 1831 et en situe l'action à la fin du XVème siècle, époque charnière où l'imprimerie se développe, les Amériques sont découvertes et les gens sont sensés être un peu moins cons qu'avant. A l'époque Paris a des portes (mais pas genre Champerret ou Bagnolet, hein)(plutôt des trucs qui entourent les îles du centre)(avec pont-levis, et tout) et les étrangers sont foutus dehors à la tombée de la nuit pour laisser les bonnes gens dormir sans qu'on leur dérobe leurs oreilles. Les auteurs tâclent au passage le côté "bobo qui s'encanaille" en faisant s'aventurer Pierre Gringoire, le poète de service et narrateur de la pièce, jusque dans la Cour des Miracles, en mode "salut les pauvres, je viens puiser l'inspi au plus profond du "ventre pourri de la terre" de Paris.

Là où on pourrait se dire que la comédie musicale bascule dans l'émotion facile et réduit l'Oeuvre du poète à un quadriangle (si) amoureux (un double triangle en fait)(trop long à expliquer)(ou si vite fait : Quasimodo aime Esméralda mais doit fidélité à Frollo son maître, qui voudrait bien tirer son coup avec la gitane mais qui est prêtre et ça se fait pas trop trop, Esméralda aime quant à elle Phoebus capitaine des archers Royaux, qui aimerait bien tirer son coup lui aussi, surtout qu'il va bientôt se marier à Fleur-de-Lys, jeune fille de bonne famille et plutôt jalouse comme une pouxe, mais bon elle a 14 ans, crise d'adolescence toussa. Et comme si ça suffisait pas, Plamondon et Cocciante grossissent le trait en rendant la relation Clopin/Esmé un peu incestueuse sur les bords "Il m'arrive maintenant de te regarder différemment... Tu arrives maintenant à l'âge de l'amour, rien n'est plus comme avant" et en rendant Gringoire un brin lubrique au moment de son mariage arrangé avec Esmé et en rajoutant une bonne louche de prostituées pour enrober le tout)(je vous avais dit que c'était long).

Outre cette dénonciation du traitement (ou non-traitement) des immigrés en France, de la passivité agressive de l'Eglise, du recours à la force constant contre eux, il y a cette idée très "française", que vouloir-femme => prendre-femme.

Tous tentent leur chance en passant par le rapport de force, Quasimodo, parce qu'il est peu éduqué et qu'avec sa gueule y'a pas trop moyen qu'elle accepte une date, Frollo, parce que bon, blasphème, et même Phoebus alors que sur le principe elle était partante, tente d'abord de la serrer dans un coin.

Avant d'être harcelée parce que c'est une étrangère, sans papiers, qui mendie sur la voie publique (et a une relation bizarre avec une chèvre) Esméralda est avant tout emmerdée parce que c'est une fille et parce qu'elle est jolie. Sa pendaison se fait d'ailleurs pour tentative de meurtre ET prostitution. Alors que bon, Phoebus n'a ni eu le temps de la tringler ni payé pour. Mais passons.

De ce côté là, on peut dire qu'Esméralda était bien intégrée, elle vivait ce que vivent la plupart des filles plus jolies que la moyenne en France : les garçons se jettent sur elle, tentant parfois le tout pour le tout et parfois le recours à la violence, ce qui est communément admis et placé sous silence.

En ces temps d'actualité un peu chamboulée, je tenais juste à éclairer une oeuvre témoin de l'éternel recommencement des choses et de la connerie humaine qui fait qu'on ne retient jamais rien du passé, et qu'on n'écoute finalement que nos pulsions les plus basses. Et, si le capitalisme n'a pas aidé, l'être humain, et le français-blanc-hétéro a toujours eu l'individualisme/protectionnisme de son petit patrimoine chevillé au corps.

Sinon, rien à voir, conclusion toute personnelle puisqu'il faut conclure : mais Notre-Dame de Paris fait partie de mes oeuvres littéraires cultes (au même rang que Wuthering Heights) et comporte, comme presque toutes mes oeuvres cultes, un passage où le héros fait joujou avec le cadavre de l'héroïne. Mais bon, de là à relier ça avec quelconque dérangement psychologique dans ma tête, hein.

Bonus Tracks :

http://www.deezer.com/listen-226741 (Les Sans-Papiers - manisfestation des sans-papiers sur le parvis de  Notre-Dame)
http://www.deezer.com/listen-226742 (Répression de la manifestation par la force)
http://www.deezer.com/listen-226771 (Condamnés - L'expulsion des sans-papiers)
http://www.deezer.com/listen-226777 (Je reviens vers toi - Où comment Patrick Fiori Phoebus est un bel enculé de macho de merde tout de même)
http://www.deezer.com/listen-226785 (L'Attaque de Notre-Dame - Refoutage sur la gueule des Sans Papiers qu'on évacue de la cathédrale)
http://www.deezer.com/listen-226786 (Déportés - Où comment les méchants gagnent, condamnation d'Esméralda et des sans-papiers)
http://www.deezer.com/listen-226787 (Mon maître, mon sauveur - Où comment Frollo est un bel enculé de macho de merde et un prêtre qui casse pas des briques tout de même)
http://www.deezer.com/listen-226789 (Dans(e) mon Esméralda - Où comment Quasimodo est peut être pas un bel enculé de macho de merde finalement mais qu'il est bien dérangé dans sa tête quand même)

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